Comment je ne fume plus, alors que même-moi j’aurais rien parié là-dessus (1)

Je vais essayer de raconter ça : c’est le vingtième mois* sans fumer.
Quand j’en parle, je précise encore que « Oui, moi aussi AVANT, j’étais fumeuse. »
Comme une nostalgie de soi.
La première, et le paquet de Lucky Strike acheté au Bar du Longchamp devant le lycée, j’avais 16 ans, c’était un samedi pluvieux, j’avais une des meilleures raisons du monde pour m’y mettre : un chagrin d’amour. Je m’en souviens très bien.
La dernière clope aussi. Je ne savais pas qu’elle serait (peut-être) la dernière (sinon j’en aurais fumé une autre aussi sec). Aux Urgences, avant de rejoindre le service neurologie, à l’infirmier qui me demandait s’il pouvait faire quelque chose pour moi, j’ai répondu : « M’offrir une cigarette. » Il n’a pas voulu évidemment. Je ne dois pas être la seule à la réclamer celle-là, il doit avoir l’habitude de le faire son sourire embêté, celui qui veut dire : « À partir de maintenant, tout est différent dans votre vie… »

Donc ils ont vite compris à qui ils avaient à faire et ils m’ont patchée sans me demander mon avis.
Ils ont estimé à ce moment précis (27 mars 2012) que ce serait mieux pour moi de ne plus fumer. Ça n’était plus une phrase à la con écrite sur un paquet, ça n’était plus une angoissante éventualité facile à repousser (oui je sais, il faudrait que j’arrête mais j’y arriverai jamais, et puis en ce moment, je suis trop stressée etc), c’est devenu brutalement un fait, une RÉALITÉ À SUBIR.

On ne devient pas un non fumeur tout de suite, c’est même assez long. D’abord (et pendant un moment encore) on est un fumeur empêché, un fumeur brimé, maltraité. Par qui ? Bah, ça, ça n’a pas d’importance, c’est la terre entière qui vous en veut, c’est tombé sur vous, voilà, c’est ça le pire : que ça soit tombé sur vous !
Alors j’étais dans ma chambre 32, avec des examens à faire et mes perfusions et mon patch, et je pensais au paquet de cigarettes resté dans mon sac… J’avais le matos avec moi, pas de panique, j’attendais juste qu’ils me relâchent : attendez un peu voir que j’ai l’autorisation d’aller dehors, et ni vu ni connu.
Parce qu’on pense que ce sont les autres qui vous mettent des bâtons dans les roues (alors que rien du tout, ce n’est pas interdit de fumer, donc même si ça vous tue, vous faites ce que vous voulez, mais là, on a l’impression, on croit de toutes ses forces que LES AUTRES veulent pour vous quelque chose que vous, vous ne voulez pas) (fuck) (je suis une rebelle, je suis désobéissante, je vous emmerde, je vais fumer parce que justement je suis vivante et libre !) donc j’attendais mon tour et l’autorisation d’une sortie.

Mais, voilà, 48h d’observation dans un box en neurologie, ça doit vous faire voir les choses autrement. Rien de précis, juste une sensation qui s’installe, envisager qu’on pourrait y perdre des plumes dans cette affaire d’hôpital…
Alors au moment où j’ai eu le droit d’aller dehors (avant de revenir chambre 32), il y avait du soleil en plus, j’avais le patch MAIS j’avais les clopes dans mon sac… Et, je suis sortie sans le sac.
Tous les fumeurs de l’hôpital étaient là, sur ce bout de pelouse devant l’entrée, je pouvais encore en demander une. Je n’ai pris aucune décision, je n’ai pas décrété, non, je ne sais pas, sûrement tous ces examens passés sans savoir, la peur qui s’était immiscée je veux bien le croire… Je m’en souviens, c’était le jeudi après-midi.
48 heures durant, la première fois en 25 ans que je n’ai pas fumé.

Lire le récit Moncoeur (la suite de l’aventure)
*Mise à jour le 10 février 2018 : je n’ai toujours pas fumé depuis. Le 27 mars 2018, cela fera six ans.