Un bulot sur une balançoire (5)

Prenons un bulot qui se remet d’une expérience extrême ou qui s’apprête à la vivre.

Selon le bulot que vous êtes, l’expérience varie : chagrin d’amour (le bulot en soi apparaît souvent à ce moment-là, un peu comme les crises de foi à Jérusalem, le chagrin d’amour est un gros producteur de bulots), voyage au long cours (pour un bulot, c’est indéniablement une expérience ! Pendant ce temps, il oublie qu’il est un bulot comme les autres, il se prend pour un globe-trotter), l’écriture d’un livre (là, il se prend aussi pour un globe-trotter qui s’aventure dans les mondes de la littérature), un changement de travail (radical), ou l’attente d’une réponse qui peut changer sa vie (c’est aussi un truc extrême, ça, d’attendre LA réponse).

Au sortir de cette expérience, le bulot comprendra que la seule chose qui compte, c’est de s’écouter. (Avouons-le, le bulot peut avoir ce défaut d’avoir de l’eau dans les oreilles…) En plus, il apprend petit à petit (très doucement, parfois il répète les mêmes erreurs, il le sait bien qu’il se gourre mais il recommence, au cas où cette fois ça serait différent, il le sait pourtant, mais bon, voilà, flux et reflux : la vie du bulot balance), donc son apprentissage est de fait assez long et s’écouter est sans doute ce qu’il y a de plus compliqué à mettre en pratique. (Le requin, lui, ne se pose pas de questions, il ne s’écoute pas, ni personne d’ailleurs, il fonce, il avance à toute allure selon des principes de compétition, le seul but : être le plus fort).
Le bulot ne veut pas être le plus fort !
Il veut juste être lui… et ça, c’est plus long.

Et comme il n’a pas trop-trop confiance en lui, forcément il n’est jamais sûr de ce qu’il se raconte : et s’il se trompait, et s’il se plantait, et s’il ne retrouvait plus jamais l’amour, et si le changement ne changeait rien, et si le retour au réel rendait le réel pire, et si personne ne voulait de son manuscrit…

Donc le bulot alterne les phases de « A star bulot is born » avec les phases de « I’m a poor lonesome bulot raté ».
Ça n’est pas aussi grave que ça en a l’air, vous savez, car le bulot, flux et reflux inside, connaît bien le rythme familier du va-et-vient : et c’est là son plus grand atout !