Le bulot, doux rêveur, fantasme parfois sa vie comme un tapis rouge.* Il deviendrait une sorte de bulot star, invincible aux croche-pattes, en costume de super bulot qui réussirait tout ce qu’il entreprend et même au-delà. Oui, le bulot a un ego. Fragile certes, mais il a un ego. Pas un ego de type carnassier, il manque même sacrément de cette gnaque qui fait les bons requins, mais il peut se laisser aller à croire qu’un jour il mériterait d’être The king of bulots (ou the Queen). Dans ces instants-là de projection augmentée, il se voit en haut de l’affiche… Tous les bulots, à un moment donné de leur vie, voudraient toucher à la réussite (c’est-à-dire inverser la tendance, faire la nique à deux-trois requins qui lui marchent sur les pieds, au moins atteindre un objectif ambitieux, au moins une fois) donc le bulot croit qu’il peut. Oui, de temps en temps il fait ça : il y croit.
Mais le bulot trébuche vite sur le réel. Pas qu’il se plante à chaque fois (il y a des tas de bulots devenus célèbres) (si, si), pas qu’il échoue systématiquement (même s’il a ça dans le sang de s’échouer), mais le bulot avec son ego pataud panique vite. Il rêve… et Hop il doute. Il s’y voit… et Hop il ne s’y voit plus du tout. Il se prend à espérer que… et Hop il revient sur terre. Il fait tout ce qu’il faut pour… et Hop il pense qu’il ne mérite pas. Il se dit « bah non, quand même, on n’a jamais vu un bulot avoir le prix goncourt… » (c’est un exemple).
Alors il garde en lui cette fébrilité permanente. Quand le bernard l’ermite s’invite, il s’active, il agit (le bulot sait très bien que s’il ne fait rien, il ne se passera rien) (c’est la base de son karma). Puis le bernard l’ermite se barre, et il retrouve son état initial de doutes et de peurs : il jette un œil sur la plage, se laisse bercer par les flots, se prend quelquefois pour une autre sorte de coquillage et s’enfouit sous le sable, disparition momentanée aux regards des autres, revient à la surface, et se surprend à penser qu’avec un peu de bol sur un autre rivage on le remarquera… Alors il attend la bonne vague. Parce que c’est sûr (il se dit) la bonne vague pour moi arrivera bien un jour ou l’autre.
*Chronique 6