J’ai vu JR.
J’avais tellement aimé « Women are heroes ». Et puis, il n’y a pas si longtemps, voir in situ les affichages sur les façades dans le quartier de la Belle de Mai.

Je mets les pieds dans l’institut Bernard Magrez pour la première fois.
C’est un lieu où l’Art marche avec l’Argent, et l’Argent est roi.
Le château Labottière a l’élégance, le jardin à la française, la façade rigide des hôtels particuliers bordelais, sauf qu’ici se dérobe en lambeaux l’accrochage récemment installé par JR.
Grâce à la pluie (oui, grâce à, et non à cause de) on sent très bien le parfum des gros tilleuls à l’entrée.
Voilà à quoi je pense en arrivant, que ça sent bon les tilleuls. Pendant ce temps, le monde se presse et on aperçoit les visages des notables et quelques copains et des élégantes et des vieux messieurs en costume. Ce parfum des tilleuls vraiment c’est délicieux et ça me rappelle mon enfance.
Dans une des salles d’exposition, des gens se font prendre en photo devant la projection de rien, c’est à dire qu’ils prennent pour une oeuvre la fin de la bande bloquée dans l’appareil.
C’est dire si l’art parfois vous rend bête…
L’exposition s’appelle Rêves de Venise, elle organise un regard sur la cité vénitienne. C’est hétéroclite. Du côté des photos je trouve ça bof (sauf une de Martin Parr et celle des Saints de Nan Goldin). J’ai aussi sous les yeux quelques Canaletto tout de même, plus loin un Claude Lévêque (pas mon préféré mais quand même il s’appelle Le Grand Soir), un morceau de « Prenez soin de vous » de Sophie Calle (et ça ne dit pas grand chose un seul morceau du grand tout de Sophie Calle). Mais je ne suis pas là pour ça, trop vite fait, fait comme les soirs de vernissage (quand on dit je reviendrai, là y’a trop de monde et on revient jamais), et je ne suis pas critique d’art.
JR.
Bonhomme de 30 ans caché sous son chapeau et ses ray-ban.
Bonhomme exalté – je ne l’imaginais pas tant – passionné, un peu branleur quand même parce que globalement les gens assis devant lui évidemment ce n’est pas son monde. Il montre et il raconte : la pauvreté, la violence, la censure, la vieillesse, tout en évoquant le partage, la rencontre et la liberté.
Quelquefois tout ça pourrait avoir un air de l’exotisme raconté aux puissants, mais ne boudons pas notre plaisir. Le garçon est diablement politique, et il profite – je crois – d’être là et d’avoir la position dominante pour dire des trucs que beaucoup sans doute ne supporteraient pas d’entendre dans la bouche d’un jeune con de gauche, mais là c’est JR chez Magrez.
Donc il fait son La Fontaine, avec quelque chose du gendre idéal, bien élevé, pertinent, drôle, il parle, il parle, il explique, il fait du récit et même de l’émotion, et des blagues, on est loin de la théorie et de la philosophie. Et ce gars-là, on comprend que certains le suivent au bout du monde pour aller coller des photos énormes dans une favela brésilienne ou sur les toits d’un bidonville africain.
Pour une fois, tout le monde doit comprendre ce que peut être l’Art, je me dis…
Et j’aime bien ce bonhomme, chouette, simple, courageux, loin d’être dans la posture ou dans la mode de quelque chose.
Il fait donc sa belle Leçon – au sens école et pas morale.
Monsieur Magrez en a pour son argent, JR joue le jeu de la rencontre à 200%, c’est sûrement là que se situe son indépendance, dans ce moment un peu démonstration de foire, où les contradictions sont faciles à repérer mais qu’il choisit d’assumer et d’honorer. (pour mon plus grand bonheur)
D’aucuns s’interrogeront sûrement sur l’intégrité de l’artiste (streetart VS fric par exemple), moi je me demande toujours quand y’a raoût officiel : le public, lui, est-il sincère ?
Parce qu’au milieu de ces 400 personnes (il y a ceux qui trouvent que les tilleuls sentent bon ce soir, qui ont envie de dire merci à JR pour son travail tout entier, qui sont fans), il y a aussi tou(te)s les figurant(e)s habituel(le)s et privilégié(e)s parfois blasé(e)s, ceux qui pianotent sur leur smartphone (pour alimenter le résal social) pendant que l’artiste parle ou qui s’endorment un peu… (ça m’énerve, j’ai toujours du mal avec cette sorte de gaspillage) (surtout quand tu sais ce que font ces gens dans la vie) (bref) (la cour) (et avoir JR sous les yeux, forcément ça oblige à réfléchir à ça, aux conceptions qui s’opposent)
L’Art (de JR) est politique, il n’aura eu de cesse de le prouver hier soir.
J’espère qu’il continuera à vriller les codes, qu’il ne répondra jamais autre chose que « moi et vous » à la question qu’on lui pose dans la rue : « vous bossez pour qui ? »
Et je le remercie aussi pour cette chose merveilleuse dite : de la complication d’une situation naissent l’implication et la rencontre.

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