âme sensible, s’abstenir (trop tard)

J’ai fait du tri dans une boîte à photos.
La plus vieille est datée de 1929, elle atteste d’une famille corse, on y voit ma grand-mère et sa mère, c’est elle la Corse, mon arrière grand-mère au fichu noir et au visage sévère.

La preuve que la vie ne fait pas de cadeaux : il y a une photo où sur 8 personnes d’un cercle très proche, 4 sont mortes à présent. C’est Noël, on le devine au sapin derrière et aux tenues de fête – pour mon frère c’est une magnifique chemise hawaïenne trop grande pour lui.

J’en ai trouvé une autre sur laquelle j’ai une bouille d’enfant et mon fils, bébé, dans les bras.

J’ai en ai gardé une qui montre que nous avons été une famille unie avant les décompositions-recompositions-disparitions en tout genre : papa, maman, juju et moi. Sur la table, il y a pour le dessert des oranges et des citrons givrés.
Des larmes aux yeux.

J’en ai jeté une, vraiment trop floue, inutile de la garder.
Elle est floue mais je sais très bien qui est cette image brouillée. J’ai hésité à la jeter à cause du truc de légende de l’âme qu’on volerait en prenant des photographies. Est-ce qu’en la jetant, la personne meurt encore?
« Mais on ne peut pas mourir deux fois… » je me suis dit.

Et puis sur les photographies, qui sont tous ces bébés en noir et blanc ?

J’ai choisi, pour accrocher, une photo où ma mère danse, elle est en jeans et elle a des bottes blanches à talons hauts. Et une de mon père où, là, j’ai son âge. Pile.

Après, en rangeant la boîte, j’ai pensé :
« Ah vraiment, bien joué Sophie, bonne idée de faire ça en hiver, un dimanche soir… »


Texte 39 ≈ Sortir du vide ≈ journal vrai/faux de Sophie Poirier
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