Revenue d’avant, elle raconte après

Est-ce que je vais y penser tous les ans jusqu’à la fin de mes jours à ces drôles de jours ?
Me voilà calée sur le même calendrier qu’un résistant.
Mes 8 et 9 et 10 mai.
Le 8, j’arrivais avec ma petite valise.
Le 9, je me demandais si on pouvait avoir un dernier de jour de sa vie comme ça, dans un hôpital.

Les gens m’ont dit beaucoup cette phrase : « Avec ce que tu vis, il y aura forcément un AVANT et un APRÈS.  »
Le 9 mai 2012, je suis exactement dans les dernières heures du AVANT. Le 9 mai, j’arrive au bout de ça : le AVANT est presque fini.

Il y aura le 10 au matin, l’opération.
Et je serai dans le APRÈS.
J’y suis toujours.

C’est pas toujours marrant l’immédiat APRÈS, même si le truc fondamental c’est quand même que si tu es APRÈS, c’est que t’es vivant.

Tu te souviens, mon camarade, on était allongés au soleil dans la pelouse derrière les bâtiments de l’hôpital, on rigolait… mais on avait la trouille. On attendait tranquillement que passe cette journée, mais ça faisait pas comme quand on attend le train, ça faisait pas comme quand le train va partir et que je te vois en minuscule une dernière fois sur le quai, ça faisait pas pareil cette attente-là. Pourtant on a l’habitude, hein, de ce moment où on s’éloigne chacun dans nos villes… On a l’habitude des compte à rebours.
Là on faisait semblant.

La plus grande question que je me posais, le plus mystérieux au sujet de la toute fin du AVANT, je me demandais si j’allais pleurer. Si, de penser trop fort au cas où il n’y aurait pas d’APRÈS, si j’aurais le chagrin de la dernière minute…
En fait, la toute fin du AVANT, c’est mon camarade qui me l’a racontée. Moi j’étais déjà dans les vapes, et fInalement ça a dû ressembler à nos trains qui nous emportent, sauf que j’étais orange de la tête au pied à cause de la bétadine : depuis mon chariot, je lui ai fait un signe de la main.
C’est à sa place que j’aurais pas voulu être.

Si j’en n’étais pas revenue, il aurait donc eu ce dernier souvenir de moi.
La peur bleue comme une orange.

Bon, voilà. Donc : APRÈS.
Demain ça fera même 2 ans.
Comme dans les histoires : deux ans plus tard.

Les AVANT/APRÈS en fait, il y en tout le temps.
Certains, c’est vrai, brutalement, ont un côté virage à 90° degré.
D’autres sont plus subtiles, invisibles, on dévie légèrement… Et puis tout d’un coup on doit se réveiller – comme dans la salle de réanimation – et se dire « Ah tiens, j’étais après et je ne m’en étais pas rendue compte… »
Il y a aussi les beaux AVANT/APRÈS. Les romantiques.
Cette phrase (de Thérèse Clerc) notée sur un papier au milieu de mon fatras : « Quand l’avenir bascule parce qu’une main s’aventure… »

– Et alors ? Ça a changé quelque chose ? me demandera l’impatient.
Oui.
Non.
On dit La vie continue.
Ça me fait une date d’anniversaire en plus.
(silence)
Ça m’a fait plonger dans mes entrailles.

– Ah… Tout de même.