Ma mère m’a dit : Tu n’écris plus tellement dans ton blog.
Pourquoi ?
Elle a des grands Pourquoi comme ça, larges à la fin de la question, un horizon. Impossible de faire une réponse courte. Impossible de se contenter, ou d’ignorer, ou juste Je ne sais pas, impossible.
J’ai dit : Parce que je garde des choses par devers moi.
Avec elle, je peux utiliser ce genre d’expressions désuètes, je sais qu’elle les comprend. Elle en utilise beaucoup, pour ses litotes c’est pratique. Par exemple, elle me dit : Ce garçon, devant toi, il arrive à rester… de marbre ?
Donc pour le blog, je lui ai répondu (et pour le garçon, j’ai ri) : Je garde des choses à écrire, des choses que j’ai envie d’aller mettre plutôt dans des livres. Un peu par-ci par-là, au bout d’un moment, je m’éparpille.
Elle a trouvé que c’était une bonne réponse.
Et puis, elle a ajouté : Mais c’est frustrant.
Mon psy m’a dit : Que votre été soit fécond.
Il s’agit beaucoup de naissances quand je parle, allongée sur son divan, face à sa bibliothèque, avec les masques africains accrochés au-dessus sur le mur. Des naissances, au pluriel. On naît beaucoup tout le temps quand on s’allonge sur les divans. C’est dingue.
On se demande qui on est, comment devenir, quel chemin suivre, sans cesse fécond, la vie comme un arbre, avec les fruits à chaque fois, n’est-ce pas la fonction du poirier, être fécond, alors j’acquiesce, je me le souhaite aussi, et je vois qu’il y a un livre signé Pommier dans sa bibliothèque, il faudra que je regarde mieux ce que c’est, et je me souviens de ce garçon qui m’avait demandé si Sophie Poirier c’était un pseudo, parce qu’il trouvait que ça faisait faux et que c’était bien de faire faux pour un pseudo. Peut-être que si je m’étais appelée Pommier ou Fougère (j’ai vu ce nom sur l’enseigne d’un magasin, ça m’a fait rire que quelqu’un s’appelle Fougère et puis j’ai réalisé que Poirier, c’était pas moins drôle…) et donc, si j’avais eu pour nom celui d’un autre arbre ou d’une plante, une plante grimpante par exemple, ma vie aurait peut-être été différente parce que ça ne tient des fois pas à grand chose, c’est ce que la psychanalyse vous apprend, pas grand chose qui reste dans la tête et ça fait un chemin.
À ma mère, j’ai expliqué aussi : Cette année, il y a eu mon travail de rédactrice qui a pris beaucoup de place.
Je préfère dire auteure que autrice, alors que je dis rédactrice. Ça n’est pas logique mais tant pis. Auteur et auteure, ça se confond, et j’aime bien cette confusion, on n’a moins l’impression que c’est un autre métier que celui des hommes, les auteurs, alors je dis Je suis auteure. Avec ce e muet à la fin. Un e muet, vous me direz, c’est pas trop l’idéal pour affirmer son existence, un e muet ça féconde pas des masses, mais on ne va pas tout s’expliquer non plus, je ne suis pas sur un divan là, je suis assise sur un lit dans une chambre à la campagne, et j’entends des bruits d’insectes et parfois les moutons et parfois les vaches, ça me rappelle mon enfance sauf que mon enfance ne s’est pas du tout passée ici.
Avec ma mère, on a aussi parlé des racines. Moi, j’ai mon statut d’arbre qui me donne tout de suite une avance sur d’autres, au niveau des racines je veux dire, mais par contre, ça vous donne pas trop la bougeotte…
Si mon psy avait écouté notre conversation sur les racines, il aurait bien rigolé et il aurait sûrement posé d’autres questions, mais avec ma mère, nous, on a juste constaté que la racine de son père était à seulement 35 kilomètres de là et que donc pour ma mère, venir vivre ici pour sa retraite, c’était plutôt se rapprocher que s’éloigner. Elle n’avait pas vu ça comme ça.
C’était une bonne discussion.
Au sujet des racines, on a évité la partie pissenlits, on va pas se foutre le chagrin non plus, c’est le début de l’été.
Et là, j’arrête d’écrire parce que ce qui me vient, c’est des phrases de livres, que je vais donc garder par devers moi.
Comme dit ma mère…