Quand de l’air

On se prend à des désirs de silence et de lointain. À rêver d’un paysage sans humains, mais je me reprends, je me dis N’abandonne pas leur compagnie, continue de les aimer, de vouloir les accoster.Et puis, quelques heures avec le masque sur la bouche, on se prend à des envies de crier. Ou de rire. Ou alors, tiens, de chanter. Pas très longtemps, parce qu’on étouffe un peu là-dessous. J’imagine dans les couloirs des hôpitaux, quand le personnel soignant chuchote au coin des lits, je me dis Peut-être qu’ils supportent mieux parce qu’on parle doucement dans les couloirs, c’est le souvenir que j’en ai.
Pour celles et ceux qui enseignent, à parler si fort à leur 35 à 40 élèves par classe, je les plains.

Alors c’est donc ça la fin du monde, je me suis surprise avec cette phrase dans la tête, une phrase qui ne remonte pas le moral c’est sûr, mais en ce moment on fait comme on peut, avec les phrases aussi, parce que beaucoup s’entrechoquent, l’une et l’autre se disent et se défont aussitôt prononcées, elles se mordent leur queue de serpent, et il y a même des phrases – pourtant héroïques – qui se noient, dans la Méditerranée, dans le brouhaha, dans les fumées oranges, dans les bouches autoritaires, dans la peur aussi. De temps en temps, une phrase se sauve : on a de la place, voilà une phrase par exemple qui essaie de nous tendre la main.
Et puis, la beauté et la poésie, on n’y prête pas trop attention, mais en voie de disparition. Ah, va pas penser des choses pareilles, déjà la fin du monde c’est bien suffisant, avec Qu’allons-nous devenir, la question obsédante.

J’entends le nouveau refrain On verra bien qui signifie plutôt On n’y voit rien. Pourtant, on ne peut pas dire qu’on manque de points de vue, ça on en déborde même, mais on a comme pas assez de lumières devant les yeux, on tâtonne, on va s’y faire, on s’habitue à la pénombre, mais il ne faudrait pas non plus se faire à tout et n’importe quoi, alors de suite je reperds les pédales, le monde me panique, et je pense à me trouver un jardin merveilleux où planter des tas de trucs qui grandissent, voir grandir, voilà, ça serait un bon projet d’avenir, mais juste des plantes et moi je vais manquer d’elles et d’eux, une amie me disait souvent parce que je manquais d’esprit critique, « Toi, tu aimes trop les gens » et je n’ose pas la décevoir mais je crois que je les aime moins, pourtant je m’inquiète beaucoup d’elles et d’eux qu’on laisse croupir-mourir à tourner en rond dans l’île grecque, entre autre, il y en a tellement qui sont prisonniers. Hier soir, la philosophe a parlé du confinement mental dans lequel nous étions toujours.
Une partie du monde et des citoyens en réclusion.
Je n’ai aucun doute : certains finiront par s’échapper.