Pour la troisième fois depuis le début de l’été, nous devons fermer – jour et nuit – les fenêtres, les volets, les stores. Nous vivons reclus dans l’air frais de la climatisation. Dehors, les quelques arbres ne font plus d’ombre, secs et maigres, ils ont été taillés de telle façon pendant si longtemps qu’ils ont perdu la forme d’un éventail en grandes branches.
Parfois, l’électricité se coupe totalement.
Je m’allonge sur le lit, dans la pénombre. Je reste sans bouger, une façon d’économiser mes forces. La dernière fois, deux jours durant, avec par intermittences quelques minutes, parfois 20, et tout se coupait à nouveau, je suis restée couchée dans cette chambre obscure, à guetter le ronronnement des appareils qui se déclencheraient, espérer le mouvement des pâles du ventilateur, je pensais à l’insecte de Kafka, je devenais une forme nouvelle pas tout à fait morte pas tout à fait vivante. J’avais en tête aussi cette phrase de ma mère immobilisée des mois par la maladie neurologique : Je regarde beaucoup le plafond.
Quelque chose de prémonitoire.
De nos vies devenues lentes.
C’est autre chose que contemplatives car contemplative je l’étais, et l’enfermement dans la pénombre ne me déplaisait pas tout à fait, je dois l’admettre.
De nos vies lentes, entrecoupées de ces repos forcés, des lois seront votées – avec autorité – pour arrêter le travail à partir de 38° mais on paiera en heures supplémentaires celles et ceux qui veulent. Ou qui ne peuvent pas faire autrement.
Moi, je reste derrière les volets.
En juillet 1976, il y a eu la canicule. Cette date est marquée dans ma mémoire, la canicule et le diabète de mon père.
1976 : toute une série de souvenirs se déclenchent, comme un code qui ouvrirait une porte.
Je me souviens de mon père allongé, sur le lit chez ma grand-mère, au premier étage, il faisait évidemment très chaud, cette même chaleur étouffante qu’on supporte si souvent désormais. J’avais six ans, je garde cette image de mon père maigre, fatigué, qu’on envoie à l’hôpital, à la limite du coma. Il apprendra qu’il est diabétique. Il a écrit un journal pendant son hospitalisation dans lequel il note en détail les menus, l’importance du régime alimentaire soudain, on y lit qu’il retrouve peu à peu sa force et son humour.
Cet épisode a sûrement changé quelque chose dans l’histoire commune de mes parents. Ma mère apprend à faire les piqûres d’insuline, puis il se les fera lui-même. Je le surprendrai souvent assis sur le bord de la baignoire le soir, en train de se piquer la cuisse.
Maintenant, une canicule n’est plus un événement exceptionnel qu’on peut se remémorer. Nous approchons même du basculement, c’est-à-dire que nous aurons bientôt sur une année entière davantage de jours caniculaires.
En juillet 2021, j’étais partie dans une île grecque, et c’était aussi – encore – une canicule record dans la Méditerranée. Partout dans le paysage, se voyait ce que j’appelais, la fin du monde : la pandémie faisait ses apparitions successives, un peu comme une tornade représentée sur une carte, elle avançait de continent en continent, de pays en pays, de ville en ville. Disparaissait. Revenait. Le tourisme ne reprenait pas complètement, et dans les stations balnéaires traversées, au milieu des infrastructures prévues pour la masse de vacanciers, il y avait du vide. À Nissiros, avec cette canicule, ce n’était pas la douceur habituelle, plutôt la température d’un four.
Pendant ce temps, pluies diluviennes à Londres et en Chine.
Pendant ce temps, inondations tragiques en Allemagne et en Belgique.
Là aussi, ce jour d’été grec, j’attendais à l’intérieur, que le vent se lève, qu’on puisse respirer. À travers la vitre de la fenêtre, protégée dans la pièce climatisée, j’observais le yacht luxueux arrêté dans la baie. Quelquefois, des gens se glissaient du bateau au zodiaque à moteur. En zoomant avec l’objectif de l’appareil photo, je distinguais deux femmes avec des chapeaux, des adolescents penchés sur des écrans de téléphone, un homme de forte corpulence que j’avais désigné garde du corps à côté du conducteur. Ils faisaient un aller-retour rapide jusqu’au port. Peut-être pour manger dans un restaurant.
La chaleur augmentait jour après jour. Des pics de température prévues jusque 42 puis 45 ressenti 54. Bientôt, aucune nuit se serait en dessous de 30. Je me trouvais comme dans un aquarium à regarder la mer derrière une vitre.
Nous vivions au rythme de vagues : chaleur, virus, pollution, tempêtes, inondations. Des vagues avec ce qu’elles amènent au bord et ce qu’elles emportent. Quand il s’agit du sable d’une plage, on parle d’arrachement. Chaque vague arrachant quelque chose de nous-même, de notre vie.
Le monde se défait.
En Grèce, ce ciel bleu, systématique, un bleu uniforme, du matin au soir.
Sauf là : de longs et larges nuages se formaient dans l’horizon du paysage, venant de l’ouest, de la Turquie. Parfois, dans le vent, une odeur de fumée. Très vite, le ciel comme épaissi, brouillé de traînées brumeuses, lourdes, grises. J’avais lu parmi les informations – se tenir au courant du nombre de cas positifs, le variant, la vague, la quatrième seulement, on comprenait juste que l’événement du virus allait s’étirer sur plusieurs années, alors on restait suspendu aux chiffres, les cas, les réanimations, les morts, le graphique remontait sa pente, la ligne n’était plus ni plate ni courbe, une verticale se dessinait – et parmi toutes les informations : des feux immenses en Turquie.
Depuis la plage de l’île grecque, à quelques kilomètres de ce pays où mouraient en prison parfois des écrivaines, des chanteuses, des libre-penseuses (et j’avais constaté que je ne connaissais plus personne parmi mes amis ou proches qui partaient en vacances à Istanbul), les incendies étaient si intenses que les fumées arrivaient à obscurcir le ciel devant nous.
On regardait le nuage grossir. On espérait que le vent soit assez puissant pour le chasser. Et si l’air devenait irrespirable ?
Allongée, nue sur la plage de cailloux noirs, après avoir nagé longuement, j’observais le ciel menaçant et les corps des personnes autour de moi – un couple d’hommes un peu âgés, un jeune couple garçon fille elle avec un corps très beau de formes partout et leur chien qui courait dans tous les sens, un autre couple homme femme avec un bébé qu’ils faisaient glisser sur l’eau dans une bouée canard toute jaune qui tranchait sur cette eau sombre, le ciel de plus en plus chargé de fumée, des jeunes qui partaient sur l’autre plage sûrement pour une soirée de fête.
– Ça y est, j’avais déjà chaud, je retournai me baigner.
Pour rentrer à l’hôtel, je longeais le bord de mer, parfois à hauteur de la plage au niveau de l’eau, parfois en surplomb avec la vue panoramique. Par endroit, la route se cassait, des morceaux de roches avaient déboulé plus bas, quelques panneaux indiquaient de faire attention.
Au niveau d’un virage, d’un côté la plage et de l’autre un bar, une grande terrasse ombragée, tous les jeunes de l’île avaient l’air de se rejoindre ici, avec la musique souvent forte. Ce jour-là, du ciel gris et les fumées, il y avait sur ce bord de plage, marchant péniblement dans le sable, un taureau noir suivi d’une vache noire et blanche. Ils avaient dû s’échapper d’un enclos, traverser la route, le taureau noir s’était mis à manger rageusement des tiges de paille plantées là, avec des rubancs rouge et blanc qui claquaient dans le vent, qu’il arrachait aussi. Depuis le bar, on entendait chanter Léonard Cohen, Every body knows, comme une bande-son à cette scène surréaliste. Une baigneuse sortait de l’eau, une autre s’agitait sur sa serviette, les deux bêtes levaient la tête et observaient. Leur déplacement était lourd dans ce sable de graviers. Petit à petit, les gens quittaient la plage, laissant la place aux deux animaux dont la cadence s’accélérait, peut-être en panique et si le taureau fonçait sur eux ? Les deux bêtes ont commencé à se diriger vers l’eau, comme si elles cherchaient à s’échapper. Leurs pattes s’enfonçaient dans ce sol de minuscules cailloux qui rend la marche si difficile. J’avais peur qu’elles se retrouvent enlisées par leur propre poids, de l’eau jusqu’aux jarrets. Heureusement, elles ont rebroussé chemin. Une voiture s’est arrêtée, un vieil homme en est sorti, et avec une poche plastique verte à la main il s’est dirigé vers le taureau et la vache égarées sur la plage, il s’est mis à leur crier dessus en agitant le plastique, les animaux ont changé de direction, escaladant presque avec agilité la pente pierreuse, coupant la route pour rejoindre un pré jauni et sec.
Il y avait beaucoup de poésie dans la présence de ces vaches lentes, inhabituelles dans un paysage de plage, avec au-dessus la fumée des feux de la Turquie et cette chanson de Léonard Cohen qui donne envie de faire l’amour.
Mais cette poésie, c’est la fin du monde.
Le lendemain de la scène des vaches, je suis réveillée en sursaut, et le temps de dire à voix haute C’est quoi ? le tremblement de terre s’est arrêté. 7h40. Sur le site qui répertoriait les tremblements de terre, earthbrake.com, on pouvait lire que depuis trois jours il y en avait un quotidiennement, mais celui-là était le plus fort. Quelques secondes ressenties ici du séisme qui se produisait à 16 kilomètres de profondeur sous terre, et dont l’épicentre se trouvait à 3 kilomètres de ma chambre. Magnitude 5,1.
Sur une autre île grecque, Lipsi, quelques années auparavant, j’avais vécu mon premier tremblement de terre. Il y avait eu deux morts sur l’île de Kos et la jetée du port s’était brisée par endroits. Comme cette fois-là à Lipsi, ensuite j’ai regardé, longuement, en face de moi, la surface de la mer pour vérifier, mais le rythme monotone des vaguelettes et la quiétude du monsieur qui continuait d’arroser ses fleurs avaient calmé cet état de veille excessive.
Des signaux.
Les tamaris sont secs, la plupart ont leurs feuilles marrons. Il n’a pas plu depuis mars. Une vieille dame habillée d’un tablier descend sur la plage, elle tient à la main un seau et un grand bâton qui lui sert de canne. Elle dégage avec sa canne une bouteille en plastique échouée sur les cailloux, elle ne la ramasse pas, se baisser doit être douloureux pour elle, on le comprend à sa démarche ; elle repousse la bouteille dans l’eau, ce n’est pas son histoire. Elle habite là depuis toujours, dans cette maison construite sur la mer et battue par les vagues inlassablement. Elle s’est assise sur un rocher, le seau lui sert à prendre l’eau et s’arroser, comme un bain ancien, elle repart difficilement en appui sur la canne, son tablier tout mouillé.
Des détails.
Les vieux qui habitent là sont devenus des éléments légèrement animés du paysage, avec des gestes répétitifs, qu’on dirait immuables, dans la langueur d’une vie simple, usante et douce, comme fait l’érosion d’une rivière sur des pierres. Avant, ils ont dû marner leur compte, ils leur en restent l’endurance, le dur au labeur malgré la chaleur, malgré les corps lourds à porter, ils poursuivent les activités à faire, selon l’heure du jour, le bain au rocher avec le seau, les fenêtres de la chambre à ouvrir, à fermer, le repas à préparer, la chaise à tirer vers l’ombre…
Et la bouteille en plastique, retour à l’envoyeur.
Toujours cet été là, dans le village principal de l’île, avec ces vagues qui cognent sur les rochers et les murs, je ne sais pas comment c’est l’hiver, est-ce qu’il y a des tempêtes ici – je pense que oui, cette année ils ont rajouté des pierres aux digues, ils ont même élevé de petites dunes de sable – on a cette impression persistante qu’il manque tellement de touristes au vu du nombre de tables agencées sur les terrasses des restaurants. À une fenêtre, pend une large serviette de plage, bleue avec des flamands roses dessinés partout. Hier soir, parmi les informations, j’ai vu une photographie de flamands roses retrouvés calcinés dans le paysage turc après le passage du grand incendie : disséminés, comme sur le paréo, ils formaient des petites masses noires au milieu d’un désert gris.
La fumée formait des nuages, mais restait stagnante au-dessus de la Turquie. J’espérais que le vent n’allait pas tourner et envoyer sur nous ce plafond épais sûrement peu respirable.
La vie des vacances a continué comme ça, avec les fumées des incendies comme si de rien n’était, après le tremblement de terre comme si de rien n’était. Les secousses de la terre profonde n’inquiétaient pas davantage que le plastique s’échouant sur la plage. Je ne crois pas qu’il s’agissait de désinvolture. Plutôt une fatalité, un renoncement qui vous attrape lorsqu’on passe sa vie sur un territoire réduit et vite isolé. Que pouvait faire ce vieillard courbé pour lutter contre l’effondrement en cours ?
Tout se déroulait en même temps, on ne pouvait plus rien dés-imbriquer : il y avait l’histoire des vacances et l’histoire de la fin du monde en même temps.
Aujourd’hui, sur le lit, inerte pendant la panne d’électricité, peut-être un peu fiévreuse, les souvenirs m’arrivaient par un premier détail : et l’image se recomposait puis devenait un petit film muet, puis le son s’ajoutait – le vent qui s’était mis à souffler et à gonfler les vagues qui s’écrasaient dans les cailloux faisant autant de bruit que l’océan, les cigales comme un choeur puissant d’une façade ensoleillée à une autre, les chèvres de temps en temps, le moteur rond et pétaradant des petits bateaux de pêche, les dialogues des enfants sur la plage et quand ils s’interpellaient dans cette langue grecque que je ne comprenais pas et qui chantait comme de l’italien, kalinita – bonne nuit – me disait doucement la dame quand je rentrais à l’appartement, le klaxon des scooters qui se croisent dans la rue en bas, les vagues qui enflent selon la force du vent et le bruit qui enfle selon la force du vent…
J’ai entendu le cliquetis du climatiseur. Le moteur s’est remis à vibrer doucement. Cette fois, la panne a duré presque 48 heures. Encore quelques minutes avant que l’air froid s’installe et redonne la possibilité de bouger. On passait de plus en plus de temps dans nos maisons. De confinement en confinement, nous avions appris cette vie intérieure, à l’abri du virus, à l’abri du taux de particules fines trop élevé, à l’abri du variant, à l’abri de la chaleur, à l’abri des luttes aussi. Des abris illusoires, ou éphémères, dehors dedans, on n’échappait plus à rien.
Je sais que cet été-là en 2021 en Grèce alors que tout était réuni pour profiter des vacances, le soleil et le vent, la mer, l’amour, les siestes, les jouissances, ce miel divin parfumé au thym, ce gâteau du boulanger juste à côté, le paysage aride mais qui sentait si bon le foin sec, lire des heures, dormir un peu entre les chapitres, un repos ; mais non, pas complètement, je sais que cet été-là il y avait sous mes yeux partout le signe d’une défaite, pas une simple fin de partie la tête basse, non une défaite colossale, qui serait sans appel, sans revanche.
J’avais souvent l’air pensif. On le décèle sur les quelques photos qu’il me reste de ce voyage.
Sur le ferry, nous avions longé Leros, où se construisait un nouveau genre de hotspot, camps modèle pour migrants réfugiés prisonniers sur des îles qui ne pouvaient pas se payer le luxe de les refuser alors on faisait désormais des îles-prisons partout en Méditerranée à rendre fous toutes ces femmes et ces hommes. On distinguait depuis le bateau les baraquements et des camions de chantier, le camps surplombait la mer, je me demandais s’ils avaient quand même un accès à une plage avec cette chaleur mais sûrement que non à cause de l’évasion. Je me souvenais de Calais, de la jungle, cinq ans depuis cette visite d’un campement sauvage et immense au bord de la Manche, campement démantelé et sans cesse des migrants plantaient des tentes, dormaient dans le bois, et sans cesse la police détruisait les tentes, chassait ces femmes et ces hommes avec des matraques et des gaz lacrymos. Au fil des années, c’était de pire en pire.
Dans le ferry, le visage collé à la vitre, je scrutais le mouvements des vagues. Au milieu du trajet, en pleine mer, il me semblait voir des bras au milieu des vagues. Des bras levés, des dizaines de bras avec sur certains des vêtements, des couleurs de chemises, et les bras hors de l’eau qui essayaient d’appeler, de lutter, des bras qui peu à peu s’enfonçaient et disparaissaient. Je n’ai pas revu cette image à d’autres moments, où je scrutais pourtant ce qui ne pouvait être qu’une illusion d’optique. J’ai pensé qu’à cet endroit il y avait sûrement eu un naufrage, une barque renversée avec les jeunes hommes dedans. J’avais ce genre de visions. Pas de la voyance au sens d’une boule de cristal, mais une vision d’imagination et comme le monde allait mal et pire, comme la faille s’ouvrait sous les pieds, la prémonition se confondait à l’imagination qui se confondait au réel.
Le yacht au large tournait sur lui-même, les requins font ça aussi. J’ai cherché des informations : ce bateau mesure 36 mètres de long, on le loue le temps de courts séjours. My fair lady coûte quelque chose comme 86 000 euros la semaine.
Au milieu des fumées grises et épaisses, un hélicoptère bombardier. Il trainait derrière lui un sac rouge rempli d’eau. Apparemment, l’urgence était d’empêcher l’incendie d’atteindre une centrale thermique. À vol d’oiseau, elle se situait à 160 kilomètres de nous.
Les familles sur la plage levaient les yeux vers le ciel quand passait l’hélicoptère. Je ne savais pas ce que les autres vacanciers pensaient de tous ces événements. Pour l’instant, ici, nous pouvions faire semblant. Il fallait juste gommer quelques détails sur la carte postale : la fumée, le bateau qui vient exploiter la pierre ponce de l’île en face, le masque chirurgical sur le visage de la serveuse, le plastique dans les algues, le filet du pêcheur presque vide, les images de la chaîne d’info en continue inondations couvre-feu incendies canicules glissement de terrain sécheresse virus…
On avait trop chaud, on cherchait l’ombre, on se baignait. Je me souvenais que cela arrivait parfois sur la côte atlantique, des journées d’été à la plage où la chaleur était si forte qu’on ne tenait pas sur les serviettes et on passait l’après-midi à faire cet aller-retour, aller dans l’eau et à peine revenus sur le sable, on était obligés d’y retourner. C’était presque insoutenable. On crève de chaud, on disait.
Un matin, pendant que je lisais sur la plage, mon téléphone s’est allumé sur une notification ALERTE D’URGENCE écrit en grec et en anglais. Risque extrême d’incendies, éviter toute action pouvant provoquer un feu. Je n’avais jamais reçu ce genre de message. Je levais la tête, le ciel était toujours brumeux au lieu du bleu.
Pendant que j’étais en Grèce dans cette canicule historique de juillet 2021, en France ils allumaient des feux dans les cheminées, l’été ne commençait pas, les gens se plaignaient.
Ça y est, les températures du corps et de l’appartement sont redevenues supportables. Je quitte mon état d’insecte rigide, quelques étirements avant de me lever complètement, je prends appui sur le bord du lit, d’abord assise, puis enfin je me redresse. Cette situation se renouvelle de plus en plus souvent. Encore une que j’ajoute à la liste de toutes celles impensables autrefois qui sont devenues familières. Cela me rappelle mon opération à coeur ouvert, et la découverte stupéfiante de ce moment où son propre corps est fauché, où la fragilité extrême, tenir à un fil, être dans cet instant du fil qui peut casser à tout moment, et compter les heures avant de revenir en force comme aujourd’hui je compte les heures de la panne d’électricité et j’attends le retour du climatiseur comme je guettais, étape par étape, le retour de ma propre vigueur. Mais j’en étais revenue.
Alors que de notre monde, on n’en reviendra pas.
Écrite en 2021, La chaleur pourrait être une des nouvelles d’un recueil en cours d’écriture : Le désir et la guerre. Peut-être que ce recueil prendra finalement une autre forme. J’ai eu envie de donner à lire ici ce texte aujourd’hui, car il rejoint hélas ce que je ressens à voir les incendies extrêmes.