Si je m’étais laissée influencer par la carte météo, avec cette tempête prévue sur la Gironde pour 22h, je ne serai sûrement pas allée au théâtre. Le froid du jour, la pluie qui à force rend humides les pieds, non, c’était pas un soir à sortir.
La Boîte à Jouer, c’est un petit théâtre (avec 2 salles quand même, et un bar). J’allais écrire un petit théâtre à l’ancienne… Parce que ce sont des endroits qui ont l’air d’un autre temps, d’un temps un peu rock&roll, de ce bordeaux plus souterrain, des endroits où l’amour de l’art se fait et se vit chaque jour sans chercher à être Un temple de LA culture… C’est donc là que j’étais pour le spectacle de 21h.
La tempête dehors n’a pas eu lieu hier soir (c’est maintenant que ça commence apparemment chez nous) (mais c’est juste du vent) (du vent qui s’appelle Joachim) (j’attends avec impatience le jour où une tempête française sera nommée Tempête Leïla ou Mohammed) (c’est un autre sujet).
C’est dedans que ça se passe.
Ça fait tempête parce que l’homme sur scène, acteur de la compagnie Atelier de Mécanique générale, se bouscule pour être là à jouer son propre texte. Il a pris son Journal d’acteur qui travaille, et a mis en scène des extraits qui donnent un tout d’une grande richesse.
Je suis toujours fascinée quand un homme seul, devant nous (je pense toujours au prologue dans Antigone quand le personnage dit aux spectateurs « vous, vous êtes là assis, tranquillement, mais elle, là-bas, sur scène, Antigone, elle va mourir ce soir ») donc un homme seul vient devant toi te montrer un peu de ce qu’il est à l’intérieur. Je suis toujours fascinée quand quelqu’un a ce courage-là et qu’il me le donne. À moi d’en faire quelque chose…
Il évoque dans ce journal chronologique ce qu’est le métier d’acteur de théâtre, avec les tournées dans les petites villes, les salles des fêtes bleu pâle (et je pense, moi, à ces salons de livres incongrus), les théâtres remplis dont les directeurs sont licenciés pour raison budgétaire, il parle de politique culturelle (ou pas), il nous donne à voir des bouts des spectacles joués (Mobylette ou Bimbeloterie), il dit la solitude, l’épuisement, la peur, le « Pourquoi on se met dans des situations-états pareils… »
Il est drôle aussi, parce que le rire sauve des angoisses, le rire nous permet de continuer, c’est cette légère distance qu’on a aux choses sans quoi elles seraient absolument insupportables.
La puissance-présence du monsieur remplit ce minuscule théâtre (qui pourrait être un de ceux d’Avignon dont il parle aussi), et me voilà avec la tempête à l’intérieur. Parce que ça parle de Faire, de résister en faisant, d’y aller quand même, même si la peur, même si les autres, même si c’est pas à la mode, même si ça colle pas à la rentabilité du système, même si y’a un gouffre en dessous…
Je sors avec la tempête dedans – dehors c’est calme, froid, rien n’a bougé. Les tempêtes, ça commence en soi, ça n’a pas de prénom, ça permet un déplacement imprévu : j’étais là, spectatrice et je me suis retrouvée là-bas, du côté de ceux qui font, qui vivent pleinement, qui apprivoisent (ou subliment) leurs failles, du côté de ceux qui portent des combinaisons double-zip de mécanicien…
Petits bordelais, il y a encore des dates, et vous pourriez voir là de quoi aborder ce 2012 avec la force qui manque parfois. (vous vous feriez même un sacré cadeau de Noël)
*le titre de cet article est une (des très belles) phrase du spectacle, ainsi que le dedans-dehors…
Le Journal d’un Acteur, écrit et interprété par Hubert Chaperon : infos FB + infos sur le site de La Boîte à jouer