Pourquoi cette 23ème déambulation « demi-soupir » est la dernière à paraître dans le magazine Junkpage ?
Fin mars, les trois associés de la SARL (qui détient le mensuel Junkpage) nous ont annoncé le licenciement (pour la « survie de l’entreprise ») de la rédactrice en chef et fondatrice du journal. Cette décision qu’ils ont prise dans une relative et significative absence de communication et de dialogue et de concertation avec la rédaction (ce qu’on peut définir comme étant une décision arbitraire), m’a amenée à prendre une décision à mon tour : je n’écrirai plus dans le magazine Junkpage.
Même la plus petite entreprise peut ressembler à une caricature.
Quand on écrit tous les mois dans un magazine, qu’on y participe dès son lancement, qu’on y découvre des gens de talent et des chouettes personnages, on ne sait plus trop si on appartient au journal ou si c’est le journal qui est un peu le vôtre. En fait, ni l’un ni l’autre : il appartient – comme n’importe quelle usine – aux associés/actionnaires de l’entreprise.
Donc Junkpage est à eux.
Je conçois que parfois l’objet encombre et qu’il ne soit pas simple à financer, je sais la réalité matérielle et les difficultés des contextes des crises de en ce moment depuis le temps que ça dure, mais il semble que ce journal soit suffisamment précieux pour vouloir se le garder entre hommes.
Comme dans toutes les bonnes histoires libérales, la fondatrice et rédactrice en chef (avec qui travaille une rédaction) n’avait pas de part dans l’entreprise, ni évidemment ceux qui écrivent le contenu du journal.
Comme dans toutes les bonnes histoires libérales, on vous dit que chacun compte, que chacun fait sa part, mais à la fin, c’est toujours le capital qui l’emporte.
Certes, il s’invente du côté de l’économie sociale et solidaire d’autres façons de construire l’entreprise, des coopératives, des scop et des scic, mais ça, nos propriétaires n’ont pas eu le désir d’y aller, ni de partager (malgré les demandes répétées de la rédaction).
J’ai hésité à exprimer ces choses (et encore je tourne ma langue dans ma bouche, à cause du bon ton qu’il vaut mieux avoir dit-on) mais la décision de renoncer à l’écriture de la « déambulation » n’aurait aucun intérêt si je renonçais en silence. Ce qui m’afflige ailleurs (il suffit de lire ce blog) m’afflige encore plus tout près : je pense qu’il faut expliquer la position qu’on choisit d’occuper.
Je n’imagine pas continuer d’écrire dans ce junkpage-là, à la mémoire courte et aux enjeux flous, qui juge inutile une rédactrice en chef et qui lui préfère un(e) secrétaire de rédaction, qui choisit parmi les stratégies de développement économique de faire celle de la baisse des coûts…
Moi, c’est les gens : voilà toujours ce qui me préoccupe, la relation humaine, l’empathie et la tendresse. Avant le reste.
C’est bien beau tout ça, me direz-vous, mais ça ne fait pas bouffer… Et si vous avez raison de le constater, je crois que ça n’est surtout pas le moment de s’y résigner. Nous avons suffisamment de recul sur nos renoncements passés divers et variés pour essayer maintenant des positions plus inconfortables peut-être, mais moins dangereuses.
En quittant le magazine, j’abandonne cet espace d’écriture que j’affectionnais particulièrement : un texte imprimé sur du papier, le rendez-vous exigeant qui revient tous les mois, la liberté de raconter, le plaisir d’inventer ce « je » qui déambule et de vous parler, il y avait des lecteurs peut-être, les rencontres qu’on fait quand on écrit ces reportages singuliers…
L’effet ici est assez équivalent à celui d’un chagrin d’amour.
Dommage. Gâchis. Junk.
Passons à la suite : déambuler, ça se fait ailleurs, tout le temps. Écrire aussi, surtout.
Les lecteurs attentifs des prochains numéros de Junkpage constateront que d’autres signatures disparaissent**.
Il ne s’agit donc ni d’un mouvement d’humeur, ni d’un problème hormonal, ni d’une fragilité toute féminine.
Hubert Chaperon m’a dit : « Aimer et écrire, c’est la même chose. Nous continuerons d’écrire. »
J’adore cette perspective.
**À ce jour, 11 autres chroniqueurs ont annoncé leur départ du magazine.
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