Alors tout à coup, le théâtre chaque jour, un peu matin-midi-et-soir.

Ça n’était pas la semaine pour mettre le nez dehors, franchement, je ne crois pas avoir jamais eu aussi froid, mais ça m’aura permis d’attendre le tram avec des dames en manteaux de fourrure (ah ben oui, sortie de théâtre oblige).
Je reprends dans l’ordre…

Un Midi : Déjeuner avec Hubert, l’acteur du spectacle évoqué ici. Je me dis que j’ai de la chance de rencontrer cette personne-là, cette richesse-là. Un mélange de charisme et de failles, l’énergie du corps et l’âme bouillonnante, les deux qui se tiennent ensemble. L’auteur, celui qui ne fait qu’écrire, n’a pas ce rapport d’équilibre entre tête et corps. Pour l’auteur, c’est la tête, avec les mots qui vont et viennent, qui dirige. J’essaie de lui dérober un peu de cette force, que ça « me traverse », que ça me bouscule.
Après je grimpe sur l’échelle et je gratte avec rage la peinture qui a débordé sur les vitres, finir le lieu pour qu’il devienne le terrain de jeux.

Premier soir : Le Chemin solitaire, acteurs flamands, création d’après un texte de Arthur Schnitzler. La salle du TNBA grince, je ne parle pas du public (qui grince un peu aussi) mais littéralement de la salle elle-même. J’ai failli demander à l’ouvreuse si c’était moi ou si vraiment la salle grince et craque.
Y’avait quelque chose qui empêchait. Comme une distance entre le public et la scène, malgré quelques moments d’intimité, la complicité d’un rire, un encouragement quand des gens sortent pendant le spectacle. Je ne vais pas souvent au théâtre, alors je ne sais pas si c’était le spectacle lui-même qui rendait des spectateurs habitués incorrects… des connaisseurs qui auraient trouvé la pièce « honteuse », ou mauvaise, et qui se donnent le droit de ne pas respecter. La pièce n’était pas facile, mais le public ne l’était pas non plus.
Deux heures, des instants de grâce, beaucoup de texte, parfois laborieux, parfois un peu long (on connaît l’histoire par cœur finalement, les ressorts sont classiques), mais des passages lumineux. Notamment quand deux acteurs jouent un même personnage : et d’un coup on voit un corps retenir celui qui parle, comme si on avait accès physiquement à nos tiraillements. Ça mérite des applaudissements il me semble. Fin de la pièce, et des gens partent immédiatement, sans même réchauffer ni leurs mains, ni les acteurs.

(je ne sais pas pourquoi, mais quelque chose me dit que ce soir en face de Lorant Deutsch et Tcheky Karyo, va y avoir une sorte de respect que l’on fait aux « stars ») (finalement, c’est intéressant, cette sorte d’étude comparée de 3 spectacles) (me voilà comme une critique qui empile les expériences) (je pense qu’on doit perdre sa naïveté)

Deuxième soir : Le roman d’un trader. Salle immense, je suis tout en haut, assise au milieu de lycéennes surexcitées. Assez vite, l’ennui me prend. J’attends que ça passe, c’est de pire en pire. Je n’avais jamais vécu ça au théâtre, effectivement l’envie de partir. Je suis au théâtre et je regarde TF1. Mal écrit, effets sans intérêt, hystéries, blagues à la Ruquier, pas de fond. Pourtant je suis au TNBA. Les abonnés bordelo-théâtreux dans la salle doivent frémir… Je repense au spectacle précédent, qui reste en moi, signe de son effet, de ce qu’il a sû déclencher. Et ces gens qui sont partis, et pas de rappel. Là, une sorte de politesse (c’est comme ça que je le ressens) donne 2 petits rappels. Pourquoi cette politesse ici ?

Troisième soir : J’ai renoncé à aller voir Inoffensif, à Blanquefort. Le froid, trop de froid tout le temps. Pas mon truc. Le corps qui cède, besoin de l’enrouler dans la couette, inerte, corps mou qui cherche le chaud. Et puis le théâtre intérieur trop puissant, arrêter d’être le spectateur de ses propres jérémiades, ne pas oublier qu’acteur vient du mot Faire, Acta.

2 réponses à « Regarder ou faire ? »

  1. pas vu les deux autres mais le Chemin solitaire est brillantissime.
    Débarrassée de son côté « fin de siècle », la pièce d’Arthur Schnitzler raconte une histoire qui parle à chaque spectateur… Le texte, d’abord, échos de Freud, son ami, dans le dissection des relations humaines et les réactions face à la vieillesse… le texte, le texte, toujours le texte…

    Et puis tg STAN dont on suit le travail depuis plusieurs années avec sa « déconstruction de la représentation ». Dit plus simplement et plus justement : c’est du théâtre qui ne se la joue pas. La troupe tient à distance l’incarnation d’un personnage sans abolir tout à fait cette notion… un jeu de passation de masques symptomatique de la virtuosité avec laquelle le collectif flamand met en crise la notion de personnage et entrave l’instauration stable de la fiction.
    Et dans ces questions de la filiation, de la transmission générationnelle, où il est question d’adultes qui ont pris des décisions importantes au cours de leur existence et de jeunes gens sur le point de faire eux-mêmes le choix de vie, le ballet déroutant des échanges de comédiens et des répliques qui volent d’une bouche à l’autre prend tout sons sens.
    Le texte, encore le texte, léger, qui semble survoler la scène nue, passer comme une patate chaude d’un personnage à l’autre. Quand l’un lorgne vers le passé, un vieux comédien est aux commandes, puis quand il rêve d’avenir, c’est au tour d’un comédien plus jeune de prendre le relais.

    Parfois, ils cohabitent. Et quand l’émotion devient trop forte et que le sentimentalisme menace, on zappe. Ce jeu de ping-pong en double, ce théâtre à mains nues et sans coulisse va de soi pour un public habitué à surfer sur Internet et tapoter sur la commande d’un téléviseur tout en envoyant des SMS.

    Un très grand moment…

    1. Ton analyse est plus pointue que la mienne, et je la trouve assez juste. Bien regardé, olivier !

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