Inauguré le 28 février, le Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine, vitrine bordelaise en vitrine place de la Bourse, pourrait bien devenir, façon Bourgogne et Cailhau, une nouvelle porte d’entrée dans la ville.
Un Ciap n’est ni un office de tourisme, ni un musée. Il s’en différencie par sa façon de raconter. Ne cherchant pas l’exhaustivité, l’objectif est plutôt d’initier un désir de savoir, de rendre curieux, d’aider à comprendre le paysage alentour. Dans la définition officielle, la notion d’émotion ressentie pendant la visite est même inscrite dans les critères. C’est donc avec cet œil averti que Junkpage visite le Ciap nouveau. Bordeaux labellisée Unesco, tout le monde le sait, maintenant il s’agit d’expliquer pourquoi.
Le visiteur y apprendra des choses, même pour qui connaît la ville. Il voyagera quelques minutes au milieu des dessins du Hollandais Herman Van der Hem qui remonte le fleuve en 1638 ; il comprendra les raisons techniques du label Patrimoine de l’humanité ; il distinguera les architectures des demeures bordelaises par un jeu astucieux de cubes gravés.
Certaines propositions mériteraient d’être développées : une vingtaine de « figures bordelaises » déploient via écrans tactiles leurs (courtes) biographies, mais n’y aurait-il pas matière à nous présenter plus de monde ? Ou encore la partie « Bordeaux, une histoire d’utopies », composée de sept projets fous ou rêvés, laisse un peu sur sa faim. Il sera légitime de rester attentif : ce lieu raconte de façon sélective le récit d’un développement urbain…
On s’amusera ainsi d’un palmarès géant – il semblerait que la ville de Bordeaux les affectionne – et on constatera que Burdigala est au top du top depuis les Romains… décidément ! Citation : « En 286, par son rayonnement, par son prestige, l’université de Bordeaux se place au premier rang des universités de l’Occident latin. » Ou encore : « À partir de 1743, le port de Bordeaux assure le tiers des mouvements entre la France et ses colonies et devient le premier port de France. »

On pourra aussi trouver très édulcorée la façon de décrire la traite négrière (qui participe, rappelons-le, à cette croissance, « la plus forte croissance des ports français »). Ainsi est écrit : « 120 000 à 150 000 Noirs transitent pendant cette période de l’Afrique vers les Antilles sur des navires bordelais. » Cette tournure (où le « Noir » devient même le « sujet » du verbe !) favorise pour le moins ce qu’on pourrait appeler un euphémisme historique. Les termes esclave ou esclavage ne sont jamais dits, sauf dans la traduction anglaise. Il ne s’agit évidemment pas ici d’accuser de mensonge. Pourtant, la description en 4 lignes ne témoigne pas du tout de la violence de cette période où le Noir fut l’objet du commerce le plus abject qui soit.
Heureusement, la scénographie de Bureau Baroque n’est pas prétentieuse du tout, grâce à l’usage de matériaux simples et à la sobriété du graphisme. Les cartes en relief dessinées et taillées dans le bois brut sont très belles, les grands miroirs, dans lesquels se reflète – à peine troublée – la vie dehors, apportent un peu de poésie.

Dans le coin boutique, on trouve des ouvrages érudits sur Bordeaux, des tee-shirts « way of life » et des mugs à l’effigie de Serge, le fameux lama, nouveau venu dans le patrimoine animalier bordelais. Peut-être qu’un jour dans un Ciap de 2050 on expliquera aux touristes la présence d’un lama sur les armoiries de la métropole bordelaise ? Pourquoi pas, tant qu’on n’altère pas certains devoirs de mémoire…
Le Ciap, Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine, 2-8, place de la Bourse, Bordeaux.
Article publié dans Junkpage n°11, avril 2014.

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.