ÉCOUTER LA RADIO*

Déambulation* au rythme des modulations de fréquence : pendant l’été, l’auteure a eu des envies sonores…
Publiée dans Junkpage n°15 – septembre 2014 –

Certains ont cette addiction plutôt qu’une autre. Via Internet, en direct, en podcast, en replay. Via son smartphone qu’on ne lâche pas, comme un doudou, serré dans la main pendant les insomnies de la nuit. Pourtant, rappelez-vous, un transistor suffit, et quatre piles rondes : simplicité d’un canal qui permet à la parole d’exister, à la musique de traverser les frontières, à l’information de se transmettre.
La radio, souvent ultime résistante au milieu des catastrophes, des éloignements ou des enfermements.

Aussi : le quotidien rythmé, se passer d’une horloge, savoir exactement l’heure parce que telle émission ou tel chroniqueur passe à l’antenne, le flash info comme une pendule.

Ça pourrait commencer comme ça : « Quelques notes encore et il sera exactement trois heures. »
La voix serait reconnaissable entre toutes, une voix de Fip, ronde et douce.
Oui, ça va commencer comme ça. Avec Suzanne. En studio.

studioFIP3

Le voyant à la porte est rouge. Je la vois à travers la vitre. Elle parle, casque aux oreilles.
Le voyant s’éteint. Elle me rejoint. Présentation de l’équipe minuscule, une responsable (ce jour-là, Patricia) et celle qui n’est – me précise-t-elle – ni technicienne, ni journaliste, ni programmatrice : « Je suis animatrice. »

On entre dans sa bulle. Sur l’écran de l’ordinateur la liste des titres musicaux, en vert les instrumentaux sur lesquels elle doit parler. Quand elle ne connaît pas, elle écoute avant pour caler le moment où commencer son texte. Le cadran de l’heure, qui égrène même les secondes, en lumière rouge, sans doute l’image la plus connue d’un studio de radio.
14 h 56’ 40’’ : Brazil – Cornelius
15 h 00’ 07’’ : Adieu l’enfance – La Féline
Je vérifie : l’heure prévue, le morceau. RAS, c’est précis. Suzanne est concentrée sur ce qu’elle doit rédiger. Chez Fip, les commentaires sont liés à la vie culturelle locale. Paris programme la musique et le JT de moins dix. Fip Bordeaux et ses animatrices se chargent de nous informer des choses à faire/à voir sur toute la Gironde. Chacune, en fonction de la sélection de la responsable qui a trié les dossiers de presse et les partenariats, écrit ce qu’elle dira à l’antenne. On entend la musique diffusée pour les auditeurs.

Cornelius joue Brazil, version électro cool, c’est un jour de juillet où il fait très, très chaud à Bordeaux et ça donne envie de plage. À travers les vitres, on voit la rue déserte. Sur un thermomètre est indiqué 34 degrés, Brazil, tout ça va bien ensemble.

Suzanne prend l’antenne, installe le casque sur ses oreilles, le micro est encore levé au-dessus de sa tête, elle le penche vers elle, le morceau commence, elle a dit la formule magique : « Quelques notes encore et il sera 3 heures, vous êtes en compagnie de Fip… »

studioFiP
Elle actionne du pied une pédale sous la table, comme un pianiste. Je comprends qu’elle ouvre le son du micro. Je connais la voix de Suzanne, mais sa voix est encore plus incroyable quand on l’entend là, d’aussi près.
Tous les quarts d’heure, elle prend la parole, et aussi sur les tops, deux minutes avant les heures pile. Elle boit un peu d’eau, le micro est baissé, sa feuille en main, pied sur la pédale. Ibrahim Maalouf démarre, elle lit son texte, fait un lien avec Jazz in Marciac, coupe le micro, remonte la musique, jette la feuille dans la corbeille à papier, le vert passe au rouge.

Le morceau à suivre s’appelle Walking In The Sand, d’Hollie Cook. Allez à la plage demain, ce soir, bientôt. Marcher sur le sable…

Elle râcle doucement sa gorge comme un échauffement minuscule. « En fonction des morceaux, j’écoute un peu, par exemple Dead Combo, je vois pas ce que c’est, ah oui, tiens, ambiance Hawaï… »
« Après, je vais annoncer un relais de porteurs d’eau, j’aime bien l’idée », elle me dit, « ils militent pour le retour des fontaines ! »

Il est 15 h 16’ 01’’ : Catherine Ringer chante Doux Daddy

Elle écrit, elle donne des idées de sorties culturelles, il y a de la bonne musique (le grand écart ou le son Fip : un Dean Martin de 1957 suivi d’un Daft Punk) et la solitude… Je regarde Suzanne et j’ai envie de faire son métier.

Casque, pied sur le (champignon) micro : décompte sur l’écran, premières notes, texte sur les porteurs d’eau… Nickel. Quand il y a des jeux, c’est l’animatrice qui répond au téléphone, qui prend les coordonnées pour envoyer les places gagnées, un livre, un CD. Je questionne. Comment on choisit de faire animatrice ?  « On ne choisit pas. C’était un travail comme ça au début pour pouvoir faire du théâtre, et puis… le temps a passé. C’est fou. Est-ce que ça m’a empêchée de prendre des risques ? Oh non… Je crois pas. » Elle sourit, elle fait toujours du théâtre.

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Battez-vous des Brigitte : on bascule dans la tranche de 16 heures. Suzanne s’entraîne à lire son texte. On est dans une bulle : « Bordeaux pourrait brûler, on n’en saurait rien… » Je me souviens de la fournaise dehors. Elle me dit aussi : « On dirait que j’ai avalé une horloge ! » Je pose la question des bafouillements, si ça lui arrive et elle me cite son grandiose « et maintenant le bulle-to de la mété-in ».

Je repars. Bordeaux n’a pas pris feu, mais c’est une après-midi d’étuve…

Ce week-end, j’ai rendez-vous avec deux pigistes chez France Bleu Gironde.
Autre ambiance.

Le programme pourra évidemment changer en fonction des événements. Deux moments forts : samedi, manifestations pour la paix en Palestine, et dimanche, un match de basket caritatif avec des stars. Le pigiste en radio, m’expliquera Xavier en riant, c’est un peu comme un couteau suisse : il prépare son journal pour l’antenne, mais il twitte (beaucoup), il écrit pour mettre en ligne sur le site, et il prend même des photos ! Un journal sur France Bleu se construit avec des infos d’ici (météo, faits divers, sports, c’est le week-end), et d’autres si elles ont un lien avec une actu nationale. Un coup de fil : pompiers et police. « À 6 heures, on parle de la veille, à 12 heures, entre les deux, à 17 heures et 18 heures, on aborde l’instant et le lendemain… »

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Je pars avec Lorrain rejoindre la manifestation.

Il va faire : 1 son sec, 1 enrobé, 1 élément. Il a son sac, son micro, son badge. À mon avis, l’outil indispensable pour se sentir dans le rôle, ça doit être ce badge, le sésame « presse ». Pourtant, d’écrire à toute vitesse avec mon crayon sur mon carnet à spirale me vaut un « Vous êtes journaliste ? » Je réponds : « Ah non, non, pas du tout, en fait je fais un reportage sur le journaliste qui fait un reportage. » Le gars tourne les talons : déçu ? Ou il m’a pris pour une folle…

Lorrain écoute, fait des oui de la tête, il interwieve le président de Palestine 33 : « Je sais qu’il y en a qui veulent tout fermer, refermer, c’est la mode, mais nous on veut le contraire. » Sud Ouest est là aussi. Lorrain, lui, remplaçant pour Radio France, ne connaît pas Bordeaux, je lui indique qui sont les élus que je reconnais, je me sens un peu assistante ! Il enregistre des sons d’ambiance, se promène au milieu des gens avec son micro. Il a son Nagra (nagra ça veut dire enregistreur en polonais).

Et puis il y a cet homme qui arrive. Il veut parler. Il est palestinien. Il est parti après la première Intifada, a stoppé ses études, arrivé ici à 23 ans, il raconte son histoire, il veut « expliquer le vrai problème  ». Il égrène les massacres sur ses doigts, se rappelle Arafat, l’arme et la branche d’olivier ; la voix se casse. Derrière ses lunettes de soleil, les yeux bleu pâle sont mouillés, il pleure. Et puis cette phrase : « Pourquoi ils détruisent les oliviers ? » Il redit la phrase : « Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi ils détruisent les oliviers ?  » Des gouttes perlent sur son front. Il remercie le journaliste, ajoute quelques mots sur la presse pas toujours libre. Lorrain m’explique que ce témoignage va être compliqué à utiliser, l’accent va rendre le son difficile à comprendre, les chiffres invérifiables…

Pour quelqu’un qui aime les histoires et les personnages, ce moment précis de l’homme qui pleure est une scène remarquable, et cette phrase, « Pourquoi ils détruisent les oliviers ? », embrasse à elle seule les absurdités et les terreurs des conflits, le pourquoi que se répètent les victimes de toutes les guerres… Voilà l’écart entre deux métiers : le regard d’un poète et l’exigence d’un journaliste.

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Dimanche. France Bleu. Xavier et Lorrain frénétiques sur leur clavier, ça rédige, casque mi-oreille mi-cheveu. En pleine préparation, Xavier apprend que l’arrivée du tour se fera en décrochage pendant son journal. Relecture marmonnée. « Bon, allez, je vais faire mon canard ! »

Studio A. Le technicien, Thierry, est calé pour gérer la décro (de un décrochage). Compte à rebours, les lumières rouges : intempéries, SNCF (Lorrain lit son info), les manifs… Les accents toniques dans leurs voix soudain différentes, l’articulation, calage avec Paris au cordeau pour l’arrivée du Tour, les infos s’enchaînent, météo, fin, pouce en l’air. Le speed retombe d’un seul coup.

Préparation du matériel. On enchaîne, direction The Gameday pour le reportage sur le match de basket. Pour entrer, j’ai droit à mon badge « presse ». Ambiance NBA à l’américaine au gymnase de la Benauge, DJ, speaker, danseurs. Effervescence au bord du terrain, j’assiste aux premières loges (celles des journalistes et des photographes) à l’entrée des joueurs, où se mêlent quelques footballeurs des Girondins, des basketteurs de haut niveau, et la star à l’origine de l’opération caritative, Boris Diaw. Il fait vraiment très chaud dans le gymnase, l’ambiance est survoltée.

Dehors, le temps est encore lourd, mais il ne devrait pas y avoir d’orage cette nuit. Je l’ai entendu aux infos. 

__________________________________Chronique publiée dans JUNKpage juillet-août 2014 n°14

Nouveau : pour écouter Fip Bordeaux en direct sur Internet : > player, cliquer en bas sur « Bordeaux »

Fip Bordeaux : 96.7 MHz / France Bleu Gironde : 100.1 MHz

Boris Diaw   & son association  www.babacards.com