J’ai lu Platon avec Dionysos et d’autres

En ce moment, il m’arrive de vivre des choses complètement neuves.
Par exemple, à chaque fois que je vais Place de la République (#NuitDeboutBordeaux).
Mercredi soir, je suis passée.
Ça va être lent, l’autonomie, la responsabilité de ses actes, quoi faire, dé-consommer, dés-apprendre les réflexes. Par exemple, réflexe 1 : on rêve, on ne peut rien changer, on est naïf, donc on n’a aucune légitimité à vouloir faire autrement.
Par exemple, réflexe 2 : attendre que l’autre le fasse d’abord, le fasse à ma place.
Par exemple, réflexe 3 : croire que ce système – colosse et tentacules – croire que cette énorme chose peut changer radicalement d’un coup ou jamais, alors du coup croire plutôt que : jamais.
Vous savez quoi ? Je pense que ça sera lent et il y aura des échecs, mais je crois que c’est en train. Pourquoi je dis ça ? Parce que j’ai vécu des minutes neuves, et j’étais avec des inconnus, et on a parlé et ils m’ont dit qu’ils vivaient la même chose, ces moments neufs. On s’en étonne ensemble, mais on se le confirme.

Dimanche à 15h, place de la république, nous écoutons une lecture de Platon, le Mythe de la caverne. Nous sommes une vingtaine, d’autres viendront peu à peu. Déjà, juste ça, vous voyez, cette situation, la nouveauté de cette situation.
Les voitures passent, deux personnes lisent à voix haute le dialogue entre Socrate et son disciple. Pas de micro, pas de spectacle, certains ont le texte en photocopie sous les yeux, nous écoutons sagement, assis entre les colonnes, sur les marches. Je crois que c’est de cette porte verte, derrière nous, que sortent les cercueils, de ceux qui sont morts dans l’Hôpital.
J’écoute et je regarde les gens, des plus jeunes, des plus vieux. Un homme, assis avec nous, s’essuie les pieds avec une chaussette, ils sont nus et bandés, il ne doit plus pouvoir les rentrer dans des chaussures, alors il s’est bricolé des chaussures où il n’y a que les semelles, il marche comme ça, Je le verrais ensuite partir, nus pieds sur ses semelles.
« Ne penses-tu pas que… ? »
Socrate pose toutes les questions sur cette caverne, les chaînes, en sortir, la réalité et les ombres, la violence de se dé-chaîner, le soleil.

Puis, nous intervenons. Chacun lève la main, pose à son tour des questions au sujet du texte : « Ne penses-tu pas que… ? »
Une dame nous encourage à lire La caverne de l’auteur portugais José Saramago.
Un homme prend la parole, il parle fort, je suis à côté de lui, il a un accent. Il explique qu’il faut un noyau dur à ce mouvement. Il est grec, nous dit-il tout d’un coup, et « Si vous n’avez pas un noyau dur, solide, ils vont exploser le mouvement comme ils ont réussi à le faire en Grèce ». Plus tard, je lui prêterai mes lunettes pour qu’il puisse lire le texte.

Il me rend mes lunettes, se présente : – Dionysos. Je lui serre la main : – Sophie.
On rigole. Dionysos et Sophie en train de lire Platon Place de la République.

Il est venu avec un concitoyen grec. Lui, il pense que Nuitdebout ce sont des gens en train de sortir de la caverne : « Au moins par l’esprit, déjà, et puis là, d’être ici, il faut être fou pour être là, il faut être fou pour vouloir faire la chose commune. Et ça, ils vont essayer de le torpiller… En Grèce, les manifestations, elles ont été explosées. »
C’est très beau quand il dit ça. On est là ensemble, comme un brouillon d’Europe, on se rencontre.

Ensuite, nous nous rassemblons en sous-groupe, pour discuter. Les questions ont été synthétisées et affichées sur la porte verte. Nous avons 3 grands thèmes de réflexion : C’est quoi cette caverne dans laquelle on est enchaîné ? Comment on en sort et comment on aide l’autre à en sortir ? On fait quoi une fois sorti de la caverne ?
Vous voyez, quand je dis que c’est assez neuf… Avoir ce genre de discussion, assis sur des marches, dans la rue, un dimanche après-midi, avec des gens que je ne connais pas. Le principe de la Lecture debout se termine par : chaque groupe explique en gros aux autres de quoi ils ont parlé. Le temps de parole est mesuré, c’est assez court, c’est ainsi qu’on peut accepter d’écouter tout le monde.
Dans mon groupe, j’ai bien aimé qu’ils évoquent les chaînes que nous avons chacun, toutes ces petites cavernes où on s’enferme, et puis aussi, le fait que nous devions commencer par cette tentative de libération personnelle, aller vers son autonomie pour construire le collectif, et après transmettre des outils à ceux qui n’y arrivent pas.
Quand on parlait de ce que ça nous faisait d’être là ensemble, un jeune garçon a dit :

« Les gens ici sont eux-mêmes, et peut-être que dans la vie de tous les jours on ne l’est pas autant. C’est pour ça que j’aime venir ici. »

Pendant qu’on parle, des militaires arrivent, ceux qui patrouillent dans les rues. D’habitude, ils marchent, droit devant, ils avancent. Là, ils s’arrêtent. S’organisent en ligne, en position. C’est effrayant et grotesque. On dirait qu’ils cherchent quelqu’un. Ils repartent. Peut-être est-ce cela une démonstration de force ?

Cette fois-ci, je suis partie – je devais – avant la fin et avant l’AG.
Il faudrait que quelqu’un remplace celui qui ne peut pas rester.

Tu viens la prochaine fois ?

PS / La prochaine #Lecturedebout aura lieu dimanche 24 avril à 15h, Place de la république, Bordeaux. Le texte : Discours de la servitude volontaire de La Boétie.