Le brouillard au fil de l’eau

« Le nouvel horizon. »
De cette expression lue dans un message d’une amie d’avant – ça n’était plus du tout comme avant -, de cette expression, qui trainait depuis dans la tête, je me demandais ce que c’était un nouvel horizon.
Un autre paysage ou un autre rêve.
Une autre ligne lointaine ou un mouvement infini.
Aller sereinement vers le fond du ciel. Ou trouver d’abord la direction et puis s’y rendre.
Ou soudain, au milieu d’un trajet, on se dirait, désormais c’est ce point de fuite que je vais regarder.
Et le beau sentiment de liberté – qui parfois nous suffit à aimer – pendant qu’on se fait l’histoire du nouvel horizon.
Et toujours je pense à l’injustice de nous et nos pas, libres d’aller.
L’injustice, même, à seulement s’imaginer ailleurs : un rêve doux, une petite force.

En attendant les départs, la vie du jour au jour.
Le long de la Garonne, le brouillard prenait tout le paysage, et dépassait du blanc opaque le haut des colonnes du pont, le bateau qui sert de navette d’une rive l’autre sortait du mystère, il était minuscule, c’était marée très basse et cela semble rapetisser la taille des bateaux – sauf les paquebots de croisière plus difficiles à avaler – alors ce petit bateau venait de ce brouillard, moi je voyais un autre monde, un monde imaginé, un Mékong, j’avais envie d’aller loin comme ça, et je me demande si mes voyages minuscules ont empêché de grands voyages.

Je reste.
Je ne sais pas pourquoi, mais il me manque toujours quelque chose pour le départ.

Un autre jour, un dîner, et autour de cette table, tout le monde arrive d’ailleurs et de mélanges et d’aventures. Certains sont nés sur d’autres continents, et connaissent par cœur l’histoire de Christophe Colomb qui ne serait pas celui qu’on pense, mais qui est réellement celui qu’on pense ? puisque même les héros avec leur désir de terres inconnues font des choix qui modifient les trajectoires et les voilà débarqués ici se croyant là, signant d’un nom un endroit qui en possède déjà plusieurs, pensant être l’inventeur…
L’impression si excitante qu’on serait le premier à regarder.

Dans ce dîner, tout le monde avait la richesse d’être d’ailleurs.
D’avoir une vie qu’on suit sur une cartographie magnifique plutôt que mon identité fixée, de quartier à quartier.
D’ici, oui oui née ici vraiment, et comme pauvre de vivre où j’étais née.
J’avais une résistance au changement, apparemment qu’eux n’avaient pas.
Ils avaient vu ce que je n’avais jamais vu. Ils avaient la force de ceux qui recommencent ailleurs, qui accumulent des langues et des histoires.
Espérant que nombreux puissent faire, à venir, passionnément, les récits des traversées.

Avant de partir, check-list des paradoxes : entourée et comprendre la solitude, voyageur en contemplant la Garonne, se rappeler vivement des attachements défaits et ne jurer que du présent.
Ne pas s’y faire que tant de choses passent et s’effacent, alors que je m’applique tellement pour ne pas bouger. 

Le titre est fabriqué à partir de cette définition : « Le brouillard comptable désigne originellement le document servant de brouillon et enregistrant toutes les transactions dans un ordre séquentiel, au fil de l’eau. N’étant pas un document définitif, il n’est pas normé par la profession. Le brouillard se traduit « Day book » en anglais. »