Cette drôle de phrase tant que je ne l’aurais pas utilisée va me traîner dans la tête. Croyez-bien, comme vous, qu’en ce moment il m’en traine assez comme ça, de ces drôles de drôles de phrases, drôles en tout genre mais surtout en genre fin du monde donc pas si marrantes, et encombrantes avec ça, sans réponse, sans réponse, on ne sait pas, on ne sait pas, on verra, enfin on verra si on est toujours là, bam, on se plombe l’ambiance dès qu’on fait conversation.
Donc, moi, l’air de rien, j’ai dormi avec une assiette. Vide. Je précise. Blanche, de petite taille, charmante, très simple. Elle a dormi avec moi, là, sans rien dire, pelotonnée pourrait-on dire si tant est qu’une assiette puisse se pelotonner, je sais mais, mais pourtant, au réveil c’est l’impression qu’elle me donne la petite assiette perdue au milieu de la couette.
Ainsi les effets du confinement semi-mou se font sentir.
Mais à écouter notre Véran hier soir, j’aurais dû m’en douter…
Il tenta des figures de style : « Ce n’est pas parce que le niveau de la marée est en train de baisser qu’on peut sortir en toute quiétude dans la rue. ». Il avait prévenu, « si je puis me permettre une métaphore », et il n’aurait pas dû se permettre on est d’accord, sa métaphore n’image pas grand chose… À moins d’habiter à Venise.
Puis, tant qu’il y était, il fit un effort rare de pédagogie : « Ce n’est pas parce que ça baisse que c’est bas » (et là forcément, je pense aux Shadocks, comment ne pas ? )
Et oui, madame, ce n’est pas parce que ça baisse que c’est bas, tout est relatif dans la vie, surtout dans la vie des bas et des hauts, ce n’est pas parce que ça baisse que c’est bas se rassuraient les dix premières fortunes du monde en regardant leur compte en banque.
Pour finir, inquiet de notre santé psychique et du moral des troupes, il voulut nous rassurer, et heureux de nous confirmer que nous avions encore quelques libertés : « S’il y a bien quelque chose qui n’est pas obligatoire dans cette période, c’est d’être malheureux. »
Là, j’avoue, j’ai parlé tout haut : Mais qu’est-ce que c’est que cette phrase ! T’es ministre de la santé ou t’écris des horoscopes ?
T’as besoin qu’on te fasse un dessin, qu’on t’explique pourquoi on est malheureux ? Tu crois qu’on a toujours le choix de l’être ou ne pas l’être ? Tu sais, mon gars Véran comme dirait François Morel, quand ça baisse un chiffre d’affaire-un budget-un revenu de gens d’en bas je t’assure, c’est bas de bas. Et dans les rues, quand on y va, nous c’est plutôt la marée chaussée qu’on croise, si tu vois ce que je veux dire, pas la haute ou la basse de marée, la chaussée qui demande à vérifier nos papiers et nos attestations (quelqu’un m’a dit « On n’a pas le droit de les remplir au crayon à papier », vous dire si on a la santé psychique embrouillée) et dans les rues à marcher comme des prisonniers sans but ou alors le but c’est d’aller chercher du pain, ou mieux, un spray pour enlever les moisissures dans les joints des carrelages de la salle de bain ! Tu sais, les joints entre la baignoire et le début du mur, dans l’angle ! Tu vois un peu le genre de vies qu’une majorité d’entre nous a désormais ? Et tu voudrais qu’on soit pas malheureux, avec toi qui nous fait des conférences de presse façon :
Scorpion
Rassurez-vous, ce n’est pas parce que ça baisse que c’est bas. Reprenez-vous. Avec la lune en Saturne, c’est le moment ou jamais. S’il y a bien quelque chose qui n’est pas obligatoire dans cette période, c’est d’être malheureux.
Et donc, j’ai dormi avec une assiette. Ce matin, elle va très bien, et moi aussi.
Pour l’instant.