PROLOGUE Quand on est comme moi : hétéro, blanc vivant en France, diplômée (diplômes que je cherche désespérément depuis une semaine mais ceci est une autre histoire) (une histoire de désordre évidemment), mère de famille, avouons qu’on éprouve rarement le sentiment d’être différent. En naissant femme plutôt qu’homme, on a quand même la possibilité de faire l’expérience du pouvoir sur soi, on subit plus ou moins la domination masculine et un peu de cette inégalité qui va avec. Mais la société va dans notre sens (ça fait pas longtemps quand même). Autre expérience : juillet 2001, je marche dans Harlem, ma couleur de peau devient ma première caractéristique identitaire, je suis minoritaire, je comprends quelque chose viscéralement.
Position fondamentale : le face à face

SAMEDI 8 Décembre 2012 – Bordeaux : Rassemblement pour l’égalité des droits – j’y suis avec nombre de mes amis et famille. Le même jour, les anti-mariage gay défilent. C’était interdit d’y aller. Ne pas provoquer. Ne pas faire violence. Notre marche est finie, les CRS empêchent un peu de partir vers cette partie de là ville où les autres sont. L’hélico là-haut nous indiquait la direction à suivre : et surtout s’il était toujours là, c’est qu’eux aussi. On est un petit groupe, 40 ou 50, les autocollants arc-en-ciel collés sur les poitrines comme seul signe distinctif. Les voilà qui arrivent. Comme un défilé Cyrillus. Dans notre marche POUR l’égalité des droits, j’avais fait cette remarque, que je trouvais notre défilé plein de sortes de gens et de styles. Là, ils sont le Même. Ils aiment ça d’ailleurs, se ressembler, se reconnaître, être entre eux, repliés. On se regarde les uns les autres, quelqu’un dit « Putain ça tord le ventre », et c’est vrai, j’ai les tripes serrées. Devant leur joie à être certains d’eux -mêmes. On est très encadrés par des policiers qui ont l’air de nous protéger davantage que de nous empêcher. D’ailleurs on n’a pas d’idée précise de pourquoi on est là, on veut les voir, on veut qu’ils nous voient. Toutes celles et ceux qui sont là sont venus pour ça je crois, pour ce regard droit vers leurs yeux à eux. Le flic me dit : Pour être aussi nombreux qu’eux, faut vous organiser. – Mais nous, on s’organise pas, on n’est pas endoctrinés, on est juste des citoyens, on vient dans la rue spontanément, avec notre souffrance. C’est ça qu’on veut leur montrer : notre souffrance. C’est tout. Que tout ce qu’on entend, ça nous fait mal. Il me dit aussi (il discute gentiment) : – Je suis plus d’accord avec eux qu’avec vous, mais vos droits ça va dans le sens de l’histoire, dans 100 ans, ça sera accepté. – Mais moi je veux l’égalité maintenant, pas dans 100 ans. Je vis là, maintenant, comme vous. Kennedy avait déclamé fraternel « Ich bin ein berliner », me voilà homosexuelle. Les cyrillus passent, leurs regards sont plein de dédain. Je suis concernée, je suis regardée, je suis méprisée. Mais certains baissent les yeux quand avec un sourire on leur parle : « On est Pour l’égalité. » Alors on est restés là un moment, un petit bloc compact, silencieux, les yeux sur eux. L’action n’avait rien d’héroïque. Mais ces deux défilés à chaque bout de la ville, et au milieu la foule frénétique d’un samedi après-midi de décembre, ça me gênait aux entournures. L’importance du regard, être face à l’Autre. Leur montrer que NOUS sommes là, pour de vrai. Que NOUS ne sommes pas des concepts, pas des idées, pas des images derrière des télés, pas des rumeurs ou des objets contre-nature, pas des banderoles dans des défilés, pas des humains qu’on autorise ou pas et qu’on accepte du bout des yeux dans la mesure où ça ne dépasse pas certaines limites… NOUS SOMMES EUX. EUX SONT NOUS. PAREILS. IL FAUT QU’ILS VOIENT ÇA. Peut-être que vous me trouvez exaltée ou un poil lyrique ? Tant pis. Mes exaltations me sont précieuses car elles signifient que je reste vivante : et ici mon coeur battait vite et mon ventre se nouait. À mon camarade présent qui me faisait remarquer que lui n’avait plus envie de discuter, d’expliquer, de batailler avec ces gens, ceux qui disent « La nature ceci, la tradition cela » et ceux qui ont peur, je rétorquai que j’étais homosexuelle depuis 1/4 d’heure et que forcément moi j’avais encore de la patience en réserve… Il a ri mais a ajouté : « S’ils sont assez benêts pour ne pas penser autrement, tant pis pour eux ! Ils ont qu’à se servir un peu de leur cervelle. Moi les nigauds à qui il faut justifier toutes ces conneries, j’en peux plus… Tant pis pour eux s’ils sont idiots. » Peut-être que quand je serai une vieille homosexuelle, j’aurais atteint sa hauteur. En attendant, j’espère qu’un jour je serai sa demoiselle d’honneur ;-)
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