Nous sommes (Place de) la République.
Pendant ce temps-là, au Panama-tralala.
Pendant ce temps-là, à Bordeaux, c’est Marathon. Des centaines de gens courent dans les rues. Ils ont des vêtements fluos et des bénévoles ont été recrutés pour les encourager au bord de la route.  Il y a le dépassement de soi, chacun relève bien le défi qu’il veut, mais c’est aussi la course de Lagardère, les bénéfices de Lagardère, pas juste courir, il faut des animations, des images de marque, si tu veux tu peux : Impossible is nothing.

Sur la place de la République, c’est la première #NuitdeboutBordeaux.

Les prises de parole commencent :
« Des fois on vit, des fois on vit pas. Dans la manif, tout à l’heure, je me suis senti vivant pour la première fois »
« J’espère que là, à la fin, on changera quelque chose. »
Je lève la tête. Les statues de quatre hommes assis nous surplombent. Nous sommes entre le tribunal et l’hôpital.
Un joyeux franco-brésilien nous le dira au micro plus tard : « Et frère, et négro, y’a des antillais ?, tu choisis quoi le tribunal ou l’hôpital ? » Il nous fera rire, parlera de sourire, le pouvoir du sourire, et un peu en brésilien, ça réchauffe toujours.
Parmi les statues plantées là-haut, je sais qu’il y a celle de Montesquieu.

Pendant ce temps-là, c’est Panama.
Pendant ce temps-là, mon fils me demande : « Après quoi, ils courent ceux du Marathon ? »
Prenez une longueur d’avance.

Ici, République, commence la grande discussion : « D’abord ce qui est beau, c’est ce rassemblement. » « Partageons. N’ayons pas peur. » « Finalement, l’argent, c’est rien… « 
Comme ça, chacun son tour, en se dépassant un peu, plusieurs l’avouent, C’est la première fois qu’ils parlent en public, devant quelque chose comme 1500 personnes, il y a des hésitations : « Excusez-moi je bredouille un peu » ou « ce soir, ce que nous font(s), c’est beau » et puis, nous voilà devenus des « étendardistes ».
Une dame : « C’est une histoire de conscience collective et ça, je l’attendais moi. Merci d’être là. »

Le mot qui revient dans ces prises de parole successives, celui du soulagement : « Enfin… c’est le réveil. »
Il le dit fort au micro, il est ému. Les gens assis font les gestes du débat participatif : les mains en l’air qui remuent, on est d’accord avec lui.
Une petite fille au micro : « J’ai 12 ans et j’ai envie de faire un travail que j’aime », puis un poète qui slame avec le ventre et la rage, parce qu’il y a de la rage qui sort, ou un autre : « J’en peux plus, j’ai 54 ans, j’en peux plus ».
Une dame avec une grande écharpe rouge nous explique qu’elle parle le persan, qu’elle a lu les journaux, que le monde arabe nous regarde, que l’asie nous regarde :
« Nous inspirons la résistance. »
Ici, ceux qui nous encouragent, ils sont au bord d’autres routes, des routes lointaines.
Elle répète : « D’être là, on le fait aussi pour eux. »

« Alors cette fois, on reste dehors. Le peuple prend la souveraineté. »
Toutes ces prises de parole, je crois que c’est l’apprentissage qui commence. La voix du peuple est là, je l’écoute. Un Monsieur dit : « Je suis un cas concret, je suis un cas vivant, alors je vais vous dire ma galère en quelques mots ».
C’est l’apprentissage de ce que nous sommes, la reconnaissance, on a d’abord besoin de se le dire, de reprendre nos voix ensemble et se les partager, se regarder les uns aux autres, pas d’écran entre nous, pas de sondage, pas de représentants.

Il flotte beaucoup d’amour. On se le déclame au micro. La fierté qu’on soit venus sur la place, qu’on se parle et qu’on s’écoute, déjà, ça, quand même c’est drôlement beau, franchement, on n’y croyait plus…
Souvent, celui qui parle finit par un : « Je vous aime » ou « Vous êtes magnifiques ».
On se marre un peu. Faut dire que c’est pas tellement l’ambiance habituelle de s’aimer comme ça les uns les autres, on n’a plus l’habitude. Voilà la fraternité qui repointe le bout de son nez : « On est UN », « On est l’Europe des peuples qui est en train de se réveiller »
La Nuit Debout, c’est ça, un va et vient, des avis, les constats : « J’espère que tout ça va aboutir à quelque chose, tout le monde n’est pas optimiste, il faut que ça pète. »
« On sait comment ça devrait être… On s’est tous fait berné »
Celui-là, il a 8 ans : « Je veux que ça change »

Les gens qui prennent la parole chacun leur tour « J’ai pas trop l’habitude de parler en public »- ne sont pas des illuminés, tout est cohérent, parfois un peu excessif, ému, ou cite Castoriadis, ou exalté.
Lui, il a écrit son texte, sa main tremble, il fait froid et puis il est intimidé, mais il lit son texte, il insiste, faut propager, faut convaincre les autres…
Quelque chose se constitue peut-être en ce moment. Dans chacun de ces corps, les voix du peuple.
Il y a des vieux et des jeunes. On fera une commission des nouveaux mots, puisqu’on va inventer un nouveau système. Une dame évoque le réalisme, ce réalisme à tout bout de champ qu’on nous invoque pour tout justifier, soyez réalistes on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, soyez réalistes on ne peut pas vous augmenter, soyez réalistes on ne peut pas vous embaucher, soyez réalistes nous savons ce qui est bien pour vous…


Elle dit : Leur réalisme nous rend monstrueux.

Un jeune homme : « Qui est prêt à sortir de sa zone de confort ? Même si elle n’est pas si confortable que ça, là il va falloir donner un peu de soi pour ce qu’on a à faire. »
Sur les survêtements fluos des gens qui courent, il est écrit La victoire est en nous.

L’apprentissage du collectif. Ça commence, on dirait…
C’est une expérience neuve ce soir pour beaucoup d’entre nous. Alors, ça laisse un peu de place au rêve, les impossibles possibles ?
Je repars vers chez moi, toujours les coureurs qui courent, ils courent en rond, j’imagine que ça doit être une histoire de mental, le combat entre soi et soi, il y a un sacré remue-ménage et des moyens pour encadrer tous ces coureurs, des stocks d’eau sur les trottoirs.
Ça va être long de désapprendre puis d’inventer.
Disons que dans le marathon qui nous attend, c’est le kilomètre 1.
Just do it.

nuitdebout
Place de la république – Bordeaux – #NuitDeboutBordeaux

2 réponses à « D’abord on se lève : #NuitDebout »

  1. […] sauvé puisqu’il y a des après-midis comme ça… Dans l’instant, je penserai aussi à ce premier soir incroyable de Nuit Debout, place de la république, une autre étincelle. À force, le feu va bien finir par prendre. Alors, […]

  2. […] leur voix mal utilisée ou mal votée, dans la découverte qu’un peuple pourrait guider, moi debout sur la place de la république j’avais ressenti ça – mais voilà que ce matin, une femme a paniqué dans sa voiture parce que des humains en […]

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