« C’est vrai, ça n’est pas toujours facile de se sentir chez soi au milieu de tout ce monde, avec des gens au-dessus, en-dessous, à côté, partout. G-H-I. Trois immeubles. 530 logements. Un village entier. Mais, voyez-vous, cet ensemble dont on parle, on ne peut pas le réduire.
En mathématiques peut-être, en faisant des équations peut-être ; mais, les gens ensemble, les gens dans un ensemble, c’est quand même chacun un monde. »
C’est quoi ce livre ?
« GHI, c’est l’évolution, la révolution, la transformation, par adjonction de jardins d’hiver bioclimatiques de 25 à 45 m2, des 530 logements des immeubles Gounod, Haendel & Ingres. Construits dans les années 1960 au Grand-Parc à Bordeaux, ces trois barres de 10 et 15 étages représentantes d’une modernité conquérante ont perdu au fil des décennies de leur attrait. GHI, c’est un projet urbain et social hors normes mené par aquitanis et les architectes Anne Lacaton, Jean-Philippe Vassal, Frédéric Druot et Christophe Hutin »
(site du Festin)
Ce chantier impressionnant s’est fait en site habité, c’est-à-dire que les gens restent vivre chez eux tout au long des travaux. En accord avec Aquitanis, j’ai commencé à rencontrer des habitants du GHI. Quand je venais, je discutais au hasard des personnes croisées. Au mois de février, je suis restée une semaine en « résidence de jour » au 14ème étage du bâtiment H.
J’ai noté leurs mots.
Je n’ai enregistré aucune conversation. C’était anonyme. On discutait simplement. J’ai noté ce que moi aussi je ressentais à être là. J’étais fascinée par la vue, je ne vois pas trop le ciel depuis chez moi.
Le troisième jour de la semaine de résidence, c’était le soir, j’allais partir, mon téléphone a sonné. Un médecin me disait que ma grand-mère était en train de vivre ses derniers instants. Il faisait nuit, il y avait ce paysage de ville lumineuse devant moi. Je suis restée un peu au 1405 avant de rentrer. Ma grand-mère est morte à la fin de cette semaine. J’ai repensé à la dame chez qui j’avais été au bâtiment G, qui m’avait parlé de son mari pendant cette période de travaux, à cette autre qui était tombée amoureuse, aux enfants qui grandissaient là. Je me suis dit que moi aussi désormais le GHI faisait partie de mon histoire. Les lieux vont avec les vies. L’écriture s’est fabriquée un peu comme ça, autour de cette idée, que tout s’emmêle et que la vie continue toujours, même pendant les travaux…
Avec tout ça, j’ai construit avec un texte littéraire, organisé en courts chapitres selon des thématiques. Le récit se compose : mes sensations mêlées à leurs ressentis, nos dialogues organisées pour devenir des histoires…
Après lecture, Aquitanis a désiré éditer le texte dans sa totalité. Ce livre, Le temps du chantier, mis en page par O’Tempora, est offert aux habitants, lors de l’après-midi du 24 juin dans l’appartement 1405.
On le trouve aussi dans le livre édité par Le Festin, ajouté au catalogue d’architecture du projet GHI,
L’exercice de travailler à partir des paroles des gens et donc un peu de leur vie est un exercice délicat. Parce qu’il s’agit de réalité. J’ai essayé, et la liberté d’écrire m’y a aidée – la liberté donne de meilleures résultats en général… -, j’ai essayé d’être juste, de respecter, de rester à ma place de littérature qui peut permettre de dire des choses. Ce n’est pas un documentaire, ni un recueil de témoignages… J’ai pris leurs paroles pour m’imprégner à mon tour de l’événement et en faire cette littérature qui dit du vrai. J’ai été très touchée souvent par la sincérité de leurs mots et par les situations fragiles.
Je crois qu’il faut une trace de la vie des gens dans tout ce qui arrive : je suis contente que ce livre existe.
Extrait – Chapitre 1
FAIT DE TOUS (1)
On appelle ça un ensemble. On les désigne même comme de grands ensembles.
Ce sont des cités, celles qui datent de la vague de construction moderne, avec les habitations en nombre qui s’élèvent de terre. Autrefois, une dame me l’a raconté, quand les immeubles ont poussé, dans les années 60, en face c’était les gitans, La Grenouillère, et autour, des marécages, c’était pas comme maintenant, et puis les tours et les barres ont continué de se construire, 10 ans, densification, les commerces, il y avait de la vie, et 4 pharmacies, et le soir on parlait dehors, des écoles, un gymnase, 20 ans, la ville s’élargit, 40 ans, un tramway, le quartier se remplit toujours, 50 ans, les immeubles aussi vieillissent, certains les trouvent laids, d’autres non, mais ils sont classés, oui, pas de destruction, non, on pourrait les moderniser, se refaire une réputation, réhabilitation.
Ici, on se trouve au quartier du Grand-Parc à Bordeaux.
Beaucoup de gens qui y vivent n’ont pas trop d’argent, le logement social, le HLM, faut bien l’avouer on préfèrerait vivre ailleurs, tranquille à la campagne, un palais c’est mieux, ou dans l’autre pays, ou avant les accidents de la vie qui font qu’on est là, avouons-le, on pourrait vivre ailleurs. Si on avait le choix…
C’est vrai, ça n’est pas toujours facile de se sentir chez soi au milieu de tout ce monde, avec des gens au-dessus, en-dessous, à côté, partout. G-H-I. Trois immeubles. 530 logements. Un village entier.
Mais, voyez-vous, cet ensemble dont on parle, on ne peut pas le réduire.
En mathématiques peut-être, en faisant des équations peut-être ; mais, les gens ensemble, les gens dans un ensemble, c’est quand même chacun un monde.
Chacun un tout, entre ses murs, dans son T2 ou 3 ou 4 ou 5.
Je vous le dis, je l’ai vérifié de nombreuses fois, c’est impossible avec les gens, mettre les gens ensemble dans un ensemble, c’est impossible.
Les gens, ça déborde toujours.
Et je crois que c’est mieux comme ça. »
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