Jamais toujours.  J’ai ça dans la tête.
Et puis : le chaos.
Hier soir, une dame demande à Philippe Forest : « Vous parlez du chaos vide ou du chaos plein ? »  C’était lors d’une rencontre avec l’auteur à la Machine à Musique/à Lire. Je ne sais plus trop ce qu’il répond.
Je me souviens de mon frère qui m’avait parlé de la matière noire, un vide-plein justement. Ah oui, justement. Un vide-plein : exactement comme ce jamais-toujours. 
Bon, j’écoutais Philippe Forest parler. J’étais là parce que j’ai confondu. Je croyais que ce Forest était le Philippe Vasset qui a écrit La conjuration, un livre que j’ai dans une pile à lire, et qui a écrit aussi un livre sur les zones blanches qu’on trouve représentées sur les cartes de plans des villes, je ne l’ai jamais lu mais un jour il faudra – un jour de jamais-toujours ? – parce que j’aime beaucoup cette idée d’aller voir ce qu’il y a dans ces zones blanches…
Blanches comme la matière noire.
Un vide-plein. 
Et donc Philippe Forest. Je l’écoutais mollement, flottement, je sentais bien qu’il ne s’agissait pas de celui que je croyais, je regardais les femmes présentes en me demandant quels cheveux j’aurais aimé avoir parmi toutes les sortes de coiffure qui étaient là, j’hésitais, finalement je choisissais ceux de la jeune femme brune, des cheveux longs et souples, simples à coiffer, et aussi il y avait son sein gauche qui se dessinait de profil sous un chemisier blanc serré, un petit sein qui semblait regarder vers le haut, c’était joli, avec les cheveux souples et le petit sein tendu en dessus et tout rond en dessous, donc j’écoutais de loin l’écrivain qui parlait très doucement, timidement, il avait décrit la destruction du monde et il disait que c’était réjouissant à écrire, comme un enfant qui attend la vague qui va détruire le château de sable…
Alors, j’ai pensé au Signal. Et la rencontre ce jeudi avec Catherine, une artiste-sérigraphe tombée elle aussi en passion de l’immeuble laid abandonné sur le front de mer, presque dans la mer, son émotion à en parler, et la mienne de voir ses sérigraphies avec mon texte dedans.
Alors, j’ai pensé à mon manuscrit La Fabuleuse, mon Isis-Fortune que j’aime tant et qui ne trouve pas d’éditeur. Dans ce texte, j’ai écrit aussi un monde submergé, la catastrophe. Du coup, j’ai hésité pour le  livre de Philippe Forest : est-ce que je lis son roman pour voir comment il écrit les fins du monde par inondation, ou non ?
Je continuais à regarder les gens. Ce monsieur et son air d’un paysan. Il avait le pull, le ventre, le style, les mains, comme un paysan… Philippe Forest parlait de Kierkegaard et d’un chat, et moi je faisais mon délit de faciès tranquillement, je notais ça, ce monsieur qui n’avait pas du tout l’air des autres et qui était là, avec son air rural il écoutait l’écrivain.
Les lecteurs faisaient leur petit sourire de lecteurs quand l’auteur disait des choses intelligentes, j’aime beaucoup les sectes de lecteurs comme ça, je me disais que c’était quand même des drôles de moments ces rencontres littéraires, quelque chose des communions mais rien à voir avec un concert par exemple, des communions très subtiles, très feutrées, très amoureuses quand les amoureux en sont aux frôlements, on voit dans les yeux des lecteurs les adorations et que ça vient de loin du fond de soi, étrangement ici les mots peinent à dire ce qui se passe dans la rencontre : les lecteurs écoutent pieusement.

Quand j’écris trop vite sur le clavier, lecteur se transforme en elcteur. N’a pas voté.

À la fin de la rencontre – le moment des dédicaces – , je vais voir les titres de ses livres. Confirmation que Forest n’est pas Vasset (je m’a gouré), et j’hésite à acheter Crue (il a raison, c’est un sacré bon titre) (ça doit être à cause de ce titre que je suis venue en fait parce que ça aurait fait également un bon titre pour mon manuscrit !) mais finalement, je n’ai pas assez de désir pour lui à ce moment-là.
Je suis presque partie et voilà que le monsieur-paysan s’approche de moi ! Me dit : Il me semble qu’on se connaît ? Il a l’air sûr de lui… Je sens monter ma culpabilité naissante du délit de faciès. Je réponds, très gentiment, que Non, je ne crois pas, peut-être comme ça dans des lectures, j’aime les choses de l’écriture, les écrivains, les livres alors si vous aussi on a pu se croiser par-ci par-là. Il cherche, très certain, si si on s’est vus déjà, alors je déballe mon prénom et mon nom, et il me tend la main : Moi, c’est Marcel. Je redis Non, désolée, je ne vois pas. Et Marcel me regarde, ah les yeux dans les yeux, et : En tout cas, vous êtes… vraiment charmante, très charmante. Je l’avais pas vu venir.
Sacré Marcel.

Jamais toujours.
Comme les choses qui n’arrivent pas du tout de la façon qu’on pense.
Jamais toujours.
Comme pour dire que ça part dans les directions que ça veut. Que ça peut.
La prochaine fois je parlerai du chaos. C’était mon idée de départ pour ce texte, mais j’ai dérivé.
Jamais toujours.

Ou Impermanence.
(C’est le mot qui est venu à la fin d’une conversation. Alors, je suis venue l’ajouter pour finir cette histoire.)

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