Contrairement au « Circulez, y’a rien à voir ! », l’auteure démontre comment, en roulant, on voit de tout. *DÉAMBULATION publiée dans Junkpage n°21 – mars 2015 –
Une voiture, un conducteur – de préférence ouvert d’esprit -, un dimanche après-midi froid mais ensoleillé. Moi, j’amène la feuille de route. Techniquement, une bonne déambulation nécessite un but à atteindre… Il peut être flou, saugrenu ou original, mais la notion d’objectif vous évitera de sombrer dans l’errance. En soi, je n’ai rien contre errer – bien au contraire, il ne me dérange pas d’avoir un petit côté « revenant », voir de hurler un bon coup à la pleine lune mais ça n’écrit pas les mêmes histoires.
Pour la promenade de mars, il s’agira plutôt de faire tourisme. (Je tenais absolument à utiliser cette tournure très en vogue « faire + nom commun sans article », exemple : faire peuple, faire culture, comme si sans l’article on faisait mieux les choses) (reste à prouver).
Ça a commencé par une provocation : « Tu devrais écrire un truc sur les ronds-points ! »
J’avais répondu « ok, ok, je le ferai… »
Mais j’attendais le moment, le bon moment pour m’y mettre, celui du désir. Et le désir du rond-point – contrairement à d’autres désirs – met du temps à venir…
Février, voilà que je l’avais ! Je ne le lâchai plus.
J’établissais un parcours, à partir de deux blogs qui recensent à peu près tous les ronds points de France. D’après les photos, je leur donnais des noms : le rond-point des cauchemars, le pompier de l’espace, un drone en vrai, un portail qui donne sur rien, le dauphin, la patate, les biches, puis le chou et surtout la grenouille. D’où l’importance du compagnon de route ouvert d’esprit, n’est-ce pas ?
Directement vers celui de Bègles
D’un côté, l’usine de traitement des eaux ; de l’autre, l’usine de traitement des déchets ; derrière, La Garonne ; le rond-point qui fait un peu peur se trouve là. Cette sculpture représente deux grands pêcheurs qui attrapent dans leur filet un poisson – à présent que je suis devant je distingue mieux la scène – : ok. Au sommet d’un piquet est suspendu, et c’est ça le détail « épouvante », un corps rouillé. Une sécheuse de morue (lirais-je) en référence au passé béglais…
Le pompier, je l’avais vu en photo, mais sans sa tête.
Qu’on lui a remise. Du coup, avec son casque en or façon Daft Punk, il a des airs de Playmobil sympa, on jouerait bien avec… Vous le croiserez à Villenave d’ornon, Sortie 17 depuis la rocade.
Les ronds-points décorés marquent en général les entrées et sorties de ville. Sinon, la plupart sont vides en leur centre (comme certains individus) et sans doute est-ce souhaitable car, sachant que la France détient le record du monde du nombre de ronds-points et autres giratoires, supposons un élément distinctif et ornemental sur chacun d’entre eux, le paysage serait littéralement étouffé : il y aurait en France 30 000 ronds points d’après la police et 40 000 selon les organisateurs.
Bienvenue chez nous
Qui dit entrée et sortie de ville dit emplacement stratégique. À un moment, on a pensé – ça doit s’appeler du marketing « décore ta ville pour que le touriste se rappelle être passé par ici » – on a pensé que le rond-point pourrait faire comme un logo. La sculpture ou l’élément décoratif symbolise une caractéristique de la commune, parfois on frise même l’allégorie. Par exemple, Arcachon – une pinasse ; Créon – un verre de vin en grillage ; le tour de France est passé par là – un vélo, etc.
Direction rive droite, Latresnes.
Aux portes d’Aérocampus, il paraît qu’il y a un drone. C’est l’occasion d’en voir un. Comme le remarquent des téléspectateurs déçus devant une vedette croisée dans la rue, je voyais pas ça si gros. C’est un drone CT-20. Je n’y connais rien en drone, mais alors rien de rien, mais grâce à ce rond-point, j’apprendrai qu’ils ont différentes tailles et envergures et fonctions. Celui-ci, notre CT 20 du Rond-Point – j’ai vérifié – est un ancêtre, un bon vieux drone des familles quoi, de la classe des engins sub-soniques voués aux missions de reconnaissance.
Techniquement le giratoire, ça sert à quoi ?
Un futur ingénieur en urbanisme que j’interroge me synthétise la théorie : fluidifier la circulation, les automobilistes gèrent eux-mêmes de façon autonome les croisements de flux. Il souligne cette nécessité quasi philosophique «d’être obligé de ralentir », et puis, ajoute-t-il malicieux : « Ça met toutes les routes à égalité ! Avec le carrefour giratoire, la voie principale ne prend pas le dessus. Rien à voir avec la petite route et son petit stop qui croise une nationale…»
Le rond-point : un aménagement fraternel.
Plus loin, en passant au-dessus de la Dordogne
Sans le giratoire du Dauphin, je n’aurais pas emprunté le tunnel géométrique du Pont Eiffel et je n’aurais pas non plus pénétré dans le cimetière de Saint-André-de-Cubzac un dimanche de février. Pourquoi un dauphin sur le rond-point à l’entrée de cette commune ? Indice : le mammifère-poisson tient au bout de la gueule un bonnet rouge.
Le commandant Cousteau est né ici ! Et il est enterré ici. Voilà, j’ignorais ça. Et comme nous étions là, à deux pas, allons voir. D’une sobriété étonnante, le large tombeau en vieilles pierres est recouvert d’un cœur dessiné en branches de sapin. Une discrète plaque de marbre indique tendrement : « Le papa du globe ».
En sortant du cimetière, j’aperçois une scène qui paraît venir de l’enfance : des jeunes filles s’entraînent au lancer de bâton, des majorettes sur un parking.
Les ronds-points sont des chemins qui mènent à tout : c’est là même leur fonction intrinsèque.
De quoi le rond-point est-il le nom ?
Métaphore évidente : nos cercles vicieux et autres situations où on tourne en rond longtemps avant de trouver la sortie. On m’a dit aussi : « Ce qui est bien avec les ronds-points, c’est que tu peux réfléchir, tu vois une à une toutes les possibilités. Tu peux même te tromper, c’est pas grave ! »
Le rond-point : aménagement métaphysique ? Comme une ode à l’imperfection, à l’acte manqué et aux égarements ?
Revenons aux moutons.
Ou plutôt aux biches.
La ville de Cenon, en invitant à s’exprimer l’un des maîtres de l’art giratoire*, s’est dotée d’une sculpture très Jeff Koonsienne : deux biches dorées broutent un parterre de fleurettes… L’animal – inscrit dans l’histoire de Cenon – aurait montré, selon la légende, l’endroit du gué pour traverser la Garonne à un Sir Roland perdu sur la rive droite en l’an 778. Curieusement, mis en rond-point, cet épisode a des airs mi-disco mi-conte de fée, doux et kitsch à la fois.
C’est qu’on trouve toutes sortes de catégories… Les pilleurs de l’artiste Jean-pierre Raynaud et de son pot de fleur format géant ; les vains, comme les portails de châteaux qui ouvrent sur rien ; les fontaines, dont le célèbre tronçon d’aqueduc de Bègles qui sert de douche à Albert Dupontel dans le film Le grand soir ; les ouvrages d’art difficiles à comprendre… Parfois, le rond-point se glisse même dans les faits divers : Sud-Ouest le 13 juin 2014 relatait la présence au matin d’une voiture bien installée sur le sommet d’un giratoire. Yannick Delneste, journaliste bien connu de la rive droite, s’amusait dans son article de ce mystère, assorti d’un suspense insoutenable.
Le moment était venu.
Désormais, j’étais prête, direction Eysines et son giratoire dit de la Patate.
Celui-ci, il avait quelque chose de différent. Son bonhomme patate très cartoon semblait davantage « bricolé » que les autres. Mais, en rond-point comme en art, parfois tout s’éclaire à la lecture du cartel : connaître le contexte permet de comprendre l’œuvre. Le Conseil Municipal des Enfants était à l’origine de cette création. Les enfants élus avaient choisi comme projet de mandature (2008-2010) la décoration de ce rond-point qu’ils trouvèrent bien trop triste lors de leur tour de commune. Le projet voté, ils dessinèrent et réalisèrent cet ouvrage avec les services techniques de la Mairie. La pomme de terre à l’honneur en tant qu’emblème d’une tradition maraîchère eysinaise ; des végétations pour signifier les champs, le bleu de la rivière pour la Jalles (qui n’est pas si bleue en vrai). Inauguration fut faite du rond-point – m’a-t-on raconté – en grandes pompes et en présence des membres flattés de la Confrérie de la Pomme de Terre d’Eysines. Donc ce rond-point « rigolo » qui sûrement coûta bien moins cher que d’autres en gironde représente pour certains enfants leur première action citoyenne. Ce n’est pas forcément le plus élégant, j’en conviens, mais peut-être le plus pédagogique.
Que dit la légende urbaine ?
Que les ronds-points ont poussé comme des champignons parce que rond-point = pot de vin, bref rappelons que leurs implantations sont très réglementées.
J’ai appris, auprès de la direction des infrastructures du Conseil général de la Gironde deux ou trois choses que j’ignorais : l’impact prouvé du rond-point sur la sécurité routière ; que le département participe au budget « déco » uniquement sur les giratoires végétalisés (à hauteur de 1500€) et valide le projet uniquement selon le critère sécurité. Moi, dans la catégorie plantations, j’aime bien ceux avec un pin parasol. Il était d’accord pour souligner que cette spécificité routière était devenue un morceau d’identité nationale, un patrimoine, sinon remarquable, en tout cas remarqué.
Je voulais finir en beauté
À Bruges (33), lors de précédents trajets, j’avais repéré l’escargot, du moins la coquille vide de cette cagouille métallique. De temps en temps, le rond-point vous surprend comme ça, par une étrangeté plus intéressante que juste moche.
L’enjeu de ma quête portait à présent sur le chou fleur : il était en effet magnifique, seul au milieu de l’herbe. Et puis la grenouille… Une belle grenouille en bronze, sculpture minimaliste mais de bonne taille, qu’on avait envie d’aller embrasser au cas où.
En gironde, nous avons globalement échappé aux vraies horreurs. Par exemple, via les blogs spécialisés, je sais qu’il y a, à Evian-les-Bains en Haute-Savoie, un hérisson très laid et très gros qui rend « hommage à ses congénères, souvent victimes de la route ».
Par contre, un jour c’est certain, j’irai à Hagetmau, dans les Landes, voir ce rond-point surréaliste : et je tournerai autour d’une chaise géante.




















——–Infos
Deux blogs référents :
http://trobenet.over-blog.com/
http://rondpoint33.over-blog.com/
– ROND-POINTS BRUGES : l’artiste Etienne Meneau voir son travail
– Confrérie de la pomme de terre
– Commandant Cousteau
Et pour une approche littéraire et artistique du rond-point, voir le projet de François Bon
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