Incroyable. Il est encore là.
Je l’ai déjà croisé lors de la dernière promenade (est-ce que c’est vraiment le nom qui convient quand on marche dans les rues autour de chez soi sans savoir pourquoi).
Il était exactement là, dans cette longue rue qui va tout droit vers la voie ferrée. Il avance lentement. C’est un vieil homme courbé, sa veste de survêtement est fanée, il tire derrière lui un caddie abimé. Je l’ai repéré la dernière fois, je l’avais surnommé le voleur de voiture, parce qu’il marchait et toutes les 4 ou 5 voitures il s’arrêtait et attrapait la poignée de la porte arrière. J’imagine qu’il récupère ce qui pourrait avoir été oublié sur le siège.
Et là, même heure, même endroit, l’ouvreur de portes arrières, même tenue même caddie, avance du même pas…
Je le suis.
Il marche d’un pas fatigué, je fais pareil.
On a que ça à faire un samedi après-midi de confinement, déambuler sans but, d’ailleurs on a tous des cadences amorphes, à part les joggeurs qui transpirent et je m’écarte d’eux (parce que j’ai peur des gouttes) (ah je me souviens avec délice de samedis lointains où j’avais peur des gaz lacrymogènes).
Je me cale à son rythme, à bonne distance quelques mètres derrière lui. L’air de rien. Et avec cet air de rien, on dirait bien que me voilà en filature.
Quand même, je trouve étrange qu’un voleur de voitures revienne sur les lieux du crime… C’est le meilleur moyen pour se faire repérer… Bizarre…
Vous avez dit bizarre ? Comme c’est bizarre…
Je l’observe toujours avec mon air de rien, et je me rends compte qu’il n’essaie pas du tout d’ouvrir les portières ! Il reste appuyé, tourné vers la portière. On dirait qu’il marmonne quelque chose, quelques secondes et il repart, de son pas lent, traînant son caddie. Une voiture, deux voitures, trois voitures, quatre voitures, hop, il s’arrête, la main appuyée sur l’arrière du véhicule.
Des TOC ?
Est-ce que c’est à chaque voiture blanche ? Non.
Est-ce qu’il compte ? Non.
Ah maintenant, il parle avec une dame âgée qui s’affaire dans son jardin.
Oui, évidemment, l’homme est connu. Chaque jour à la même heure, à force on le connaît. Bon, c’est sûr, j’abandonne l’hypothèse du voleur.
Je continue mon espionnage discret à travers le quartier. Quand il s’arrête pour sa halte – une prière ? – je m’arrête aussi. Je piétine. Je regarde discrètement, je dépasse la rue pour qu’il ne me surprenne pas, si jamais il tournait la tête, et je reviens sur mes pas, je ne le perds jamais de vue. Là, il communie avec une Kangoo grise…
Ça fait maintenant plus d’une heure que je marche derrière lui.
Je commence à m’éloigner sérieusement du périmètre autorisé.
Et puis, je ne reconnais plus du tout le quartier.
Ça y est, je suis perdue.
à suivre…
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