Je pense aux salles de théâtre vides.
Est-ce qu’il y a des fantômes qui hantent un peu malgré l’absence de personnages ?
Pour garder la forme, pour garder l’esprit ? Pour que les textes traversent les murs, pour que les applaudissements résonnent dans la salle au lieu de se perdre par dessus les toits ?
Est-ce qu’il y a des spectres, lumineux sous des feux de rampe, qui récitent de très très vieux monologues, qui s’élancent dans de très très vieilles tirades, et peut-être un chuchotement encore qui souffle du fond de son trou pour aider ces très très vieilles mémoires ?
On se demande à quoi ça ressemble la salle dans le noir.
J’aimerais m’y assoir.
Pendant que les utiles ont pris les armes et leur courage, d’autres ont dû déposer leurs costumes, leurs voix, leurs instruments, leurs mots.
J’aimerais entrer dans le lieu vide et silencieux.
Les fauteuils rouges relevés. Le grincement du mien quand je m’installe.
Je me souviens… Ou plutôt le récit qu’on m’en a fait.
La seule image qui m’appartienne est floue, je vois le plateau depuis le balcon. Il me semble que je n’ai pas l’âge de ce théâtre, Les enfants terribles, c’est au Fémina. Ce serait peut-être 1977 et alors, oui, je n’ai pas l’âge, j’ai sept ans.
Ma mère racontait toujours cette histoire : avec ma grand-mère paternelle elles ont attendu dans la rue, après la représentation, et Jean Marais est apparu en manteau de vison et, comme s’il sortait d’un rang, il s’est avancé vers ma grand-mère, lui a serré la main : « Bonjour Madame ».
Ma grand-mère avait les yeux brillants comme une midinette quand ma mère le racontait.
Peut-être que mon premier souvenir de théâtre finalement, c’est celui-là : les imaginer toutes les deux dans la rue à l’arrière d’un théâtre, l’acteur sublime en manteau de fourrure, sa voix grave, ma grand-mère admirative, ma mère fière de leur audace…
Ainsi donc, je traîne avec moi mon petit théâtre.
En attendant de revenir dans celui qui nous attend.
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