enfin autre chose (56)

Comme si le curseur du volume augmentait vers un brouhaha. Du silence absolu à nos commentaires agités. Curieusement, c’est l’envie de calme qui me prend à la veille de ce jour attendu.
Je me souviens quand j’étais sortie de la convalescence après la ré-éducation du coeur (opéré pile ce jour il y a huit ans), la prudence à marcher. Avec la cicatrice encore neuve, pour tousser et pour rire il fallait se tenir la poitrine avec les bras, se serrer soi-même.
Je me souviens de ça, à la sortie, avancer lentement, avoir un peu peur des autres et d’être bousculée. Je me sens pareil.

Quand certains et certaines vont avoir envie de courir et d’aller en tous sens, de gueuler même, de trinquer, de faire fort, je les comprends, on peut aimer que le vivant soit du bruit et du mouvement, moi je suis lente et contemplative et pour l’instant je n’aurai pas le droit de profiter des plages parce que je préfère regarder la mer assise et des coquillages j’en ramasse à chaque fois et je ne sais déjà plus quoi en faire. Et même ramasser des coquillages, c’est possible que les forces de l’ordre trouvent ça suspect. Mais je serai heureuse de revoir l’océan et de respirer cet air si particulier des immortelles et de l’iode.

Hier soir, j’ai regardé un documentaire sur le tsunami au Japon, les digues immenses qu’ils construisent pour se protéger, jusqu’à 13 mètres 50 de hauteur, Brise-lames. Les rescapés parlaient des fantômes, que certains voyaient d’autres pas. Tous les corps n’avaient pas été retrouvés, alors leurs esprits erraient. À l’endroit d’un ancien restaurant, il paraît que les esprits faisaient la queue, cela provoquait des accidents sur cette route parce que des conducteurs voyaient les fantômes.
Hier soir, j’ai décidé que j’allais croire aux fantômes.

Et puis, j’ai vu aussi ce documentaire Tous surveillés. Cela m’a mise en colère contre moi. D’être là à écrire mes histoires de merlettes et d’escargots, alors que nous sommes en train de basculer dans un monde globalement autoritaire qui nous met sous contrôle. À écouter ce reportage, on comprend que tout est prêt, expérimenté déjà à plusieurs endroits – Nice comme une province de Chine – et on comprend qu’une pandémie est un moment idéal pour élargir la mise en place de ces systèmes de surveillance. Ils vont gagner quelques années.

Il y a une gravité – et des tragédies – à tout ce que nous sommes en train de traverser et j’ai préféré rester au bord des choses, les évoquer sans appuyer, parce que je ne sais pas faire le porte-parole ni le volontaire ni le black-bloc ni même crier dans le mégaphone. C’est comme ça. Je me cache derrière une poésie. C’est comme ça. Je chuchote. C’est comme ça.
Peut-être que ça changera.
Et donc je sortais de convalescence, et j’avais constaté que passées les premières sensations de liberté (et ça c’était vraiment le meilleur, la liberté) la vie se poursuivait sans rien de bien spectaculaire. Et que pour quelque temps encore, je devais rire avec prudence.

(Je ne voudrais pas finir sur cette phrase un peu triste.)

J’ai bien aimé écrire avec vous. Mais j’ai très envie d’écrire toute seule maintenant.
(Je ne voudrais pas finir sur cette phrase égoïste.)
Merci d’avoir lu.

Oui ! Lisez surtout. Lisons encore, encore.
La littérature est, sans limite, un endroit de résistance, de résilience, de désobéissance, de liberté.

À suivre…


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L’histoire du coeur