L’ALERTE DE DARWIN (3)

Dernier épisode du rapport d’étonnement Festival Océan Climax. Tout menait à ça. Le moment Climax, c’était celui-là : l’Alerte lancée par Darwin, Edgar Morin en star, avec Marion Cotillard en voix supplémentaire.

Quand je l’ai vu sous la Halle à Darwin ce samedi après-midi, j’ai senti mon coeur faire sa midinette. Avec sa chemise à carreaux, le vieux monsieur est là. Edgar Morin.
Je me souviens, j’étais en Sciences de l’Éducation à Bordeaux 2, on avait cette prof extraordinaire qui nous enseignait des tas de philosophes qui m’étaient jusque-là inconnus, elle s’appelait Madame Jouy (et ça donnait des phrases fabuleuses au café Chez Auguste : T’as Jouy ce matin ?) et pour la première fois à l’université, j’ai eu l’impression qu’on me parlait du monde dans lequel je vivais. L’un de ses cours s’intitulait : Penser la complexité. J’avais trouvé l’intitulé magnifique : j’ai découvert Edgar Morin, le penseur. C’était en 1996-1997, je sortais de Lettres modernes où le texte le plus contemporain, c’était Proust…  (Le plus exaltant avait été celui sur Moby Dick, à mon grand étonnement) (La chasse à la baleine, vue par Melville : à l’époque on ne sauvait pas grand chose à part sa peau, ni les marins, ni les cétacés, ni les océans)
Donc, j’avais été initiée à Penser la complexité. Et voilà, que le maître penseur était là en personne.

Jean-Marc Gancille le tient par le bras, le petit monsieur arrive à la tribune. Il est applaudi beaucoup. Les gens sont debouts. Il y a encore une fois beaucoup de jeunes présents. Je crois que nous sommes nombreux avec cette émotion.
Il prend la parole, et valide l’idée du festival, de cette chose hybride moitié conférences-moitié concerts, il croit que la fête amène la communion et la communion la pensée.
Les choses sérieuses commencent. Très vite, le petit monsieur a le geste ample, il ne récite pas, il ne joue pas un rôle, il incarne ce qu’il pense, il est bien vivant devant nous, il va s’enflammer, jusqu’à nous convaincre. Sa puissance intacte.

La nouvelle civilisation, celle qu’il faut à tout prix inventer, nécessite d’avoir une conscience écologique. La sienne s’est éveillée à la lecture d’un article de 1969 : La mort des océans. Il dénonce le principe des disciplines séparées alors que l’écologie ce sont des écosystèmes, le fait que l’écologie ne soit pas enseignée… Voilà la leçon d’histoire du monde qui commence, avec Edgar Morin (en vrai !) qui nous raconte.
« Quel lenteur… » nous dit-il pour parler de cette prise de conscience qui rame à venir. « On s’agite quand il y a quelques catastrophes et on se rendort… » et puis « La lutte terrible entre une conscience écologique qui progresse un peu et la destruction qui progresse beaucoup. »
Il relève nos indifférences : « Nous voyons des terres mortes sous les engrais chimiques… Nous voulons des tomates parfaites, comme si les tomates sortaient de l’usine ! »
Tout de suite, le discours est politique. C’est inévitable. La conscience écologique doit nous amener à changer beaucoup.  Il fait la liste de nos intoxications, notamment consommatrice : nous sommes la civilisation intoxiquée.
Il nous manque quelque chose : Nous ne savons plus ce que c’est d’être humain.

Il faut, selon lui, lier la raison et la passion ( la lueur… je repense à l’étincelle), (re)trouver la passion du NOUS, se relier aux autres, notre besoin de communion est indéniable (voyez la religion). Le « nous » diminue… alors il évoque le pouvoir du pôle poétique, de notre part poétique, indispensable.

Concrètement, il appelle à la création d’une internationale de toutes les initiatives et de toutes les forces créatrices, pour faire du lobbying. Rien n’est irréversible, dit-il, reprenant ses théories. Il souligne cette conscience de communauté qui émerge, nous partageons un destin planétaire puisque nous faisons face sur toute la terre aux mêmes dangers. Ressuscitons la solidarité !

Et puis, il a ses élans joyeux : l’aventure étonnante vers le sursaut de conscience ; sa maxime rassurante : « le probable n’arrive pas toujours et l’improbable arrive souvent. »
Il finit en célébrant cette même aventure que nous partageons : formidable, terrifiante et merveilleuse.
C’est la première fois que j’assiste à une standing ovation pour un vieux philosophe vif d’esprit et d’espoir, quelque chose d’une communion en effet traverse la salle. De longues minutes à applaudir la sagesse, on se prend à penser que le monde pourrait en effet bien être sauvé puisqu’il y a des après-midis comme ça… Dans l’instant, je penserai aussi à ce premier soir incroyable de Nuit Debout, place de la république, une autre étincelle. À force, le feu va bien finir par prendre.
Alors, moi, tout à mon philosophe, je n’avais pas du tout vu que Marion Cotillard était aussi sur scène.
L’alerte Darwin a été énoncée par les voix présentes autour d’Edgar Morin : Jean-Marc Gancille et Philippe Barre les fondateurs de Darwin, Pascal Lafargue président d’Emmaüs Gironde, Marc Lafosse, Marion Cotillard. Parmi les signataires, 17 ONG.
On peut la lire en entier ici. C’est une demande soumise aux candidats (aux législatives et à la présidentielle). C’est à suivre… pour savoir de quoi ce sera suivi et qui suivra. Et pour le follower #darwinalerte
Pour finir, il y a eu la grande photo.

Le soir, le festival a continué.
J’avais envie de voir Air. Ils étaient sur scène comme ils doivent être en studio. Peut-être même qu’en studio, ils sont plus rigolos. Ils étaient 4 et chacun regardait dans une direction différente en se tournant le dos. Je me suis souvenue que j’écoutais souvent leur musique pendant que j’écris, parce que c’est une musique pas gênante… voilà, leur concert, il ne faisait pas grand chose. Juste un frisson de plaisir à cause du morceau de Virgin Suicides et Sexy boy aussi. J’ai vu Air depuis, sur Arte dans le websérie La touche française, et le gars de Versailles – parce que Air, c’est deux gars de Versailles – il y expliquait préférer être dans l’ombre, le studio plutôt que la scène, et bon, j’ai pensé, que oui, en effet : ça se voit.
Après, De la Soul a réveillé nos consciences et nos corps. Et puis, Cassius a fait bouger tout ça, façon club à Ibiza. Au début, on s’est moqué de son décor volcan-cascade-sunset-palmiers, mais on dansait bien et on en avait besoin.
Et là, à la toute fin, quand les gens commençaient à partir, le climax du climax du climax a enfin eu lieu : un acte de désobéissance s’est produit sur scène, Cassius a pris le droit de dépasser l’heure. C’était pas grand chose, mais c’était important que ça arrive.
À cause de l’espoir. En avoir un peu.
Espoir que la transition arrive, que l’Alerte soit entendue, que les étincelles fassent des vagues, que les sirènes montent le son, et que la désobéissance advienne, oui, c’était bien que ça sorte du cadre, au moins une fois.

Mais ma rock star préférée, n’en déplaise à la musique et au Festival, ça a quand même été Edgar.

 


Le rapport d’étonnement Festival Océan Climax à Darwin : épisode 1 & épisode 2

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