la théorie de la cagouille (8)

J’ai épluché les escargots. Je ne sais pas comment le dire autrement, c’est la première fois que je fais ça. Avec ce temps qui s’étire – est-on en avance ou est-on en retard ? -, me voilà dans la phase découverte de mon environnement immédiat. Les escargots de ce jardin mangent trop, à mon goût. La plante aux grandes feuilles qui finissent en pointe, une sorte de yuka, était envahie de minuscules escargots blancs et je les ai enlevés un par un. Ce que j’appelle éplucher.
J’avais découvert, avec l’opération du cœur, le principe de ces mots qu’on ne parle pas, qu’on ne connait parfois même pas, ou de loin, et qui dans l’expérience apparaissent soudain avec une réalité palpable. Exsangue, par exemple.
Depuis une semaine, confinement. Personnellement, je me sers de ce mot pour la première fois. J’ai beau réfléchir, je n’ai jamais dû l’écrire, même dans un roman. (En fait, si je l’ai écrit une fois dans le manuscrit que je termine sur Le Signal, l’immeuble a été confiné pendant son désamiantage)
Et là, je l’utilise au moins 50 fois par jour.
D’ailleurs, tout mon langage est en train de devenir celui d’une science-fiction, genre que je ne pratique pas du tout, une sorte de champ lexical de la mort qui rôde et du prisonnier, hyper anxiogène comme vocabulaire, quelquefois je me surprends moi-même à mettre dans la même phrase « virus confiné contaminé tu as de la javel pour nettoyer les poignées de porte Chloroquine couvre-feu » et je me désole « C’est pas possible, c’est pas moi qui parle là ! »
Alors pour mon moral, j’ai décidé de dire aussi :
« Tiens, et si j’allais éplucher les escargots », ce qui ne veut rien dire, mais j’ai l’impression d’une aventure, d’un pas dans l’avenir vers un monde sans peine.
Au moins, d’une autre conversation.

Lire la première
Lire le Prologue
Lire la précédente
Lire la suivante
Toutes les chroniques isolées